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quelque chose de plus que cette fidélité encore un peu douteuse et sujette en tout cas aux erreurs de la main. La photographie, c’est-à-dire le secret d’attirer en quelque sorte l’objet lui-même sur le papier et de l’y fixer tel qu’il se présente, a un bien autre caractère, d’infaillibilité, et dès lors ce moyen, qui n’est bon le plus souvent qu’à donner raison à l’art, devient aux yeux de beaucoup de gens un moyen d’en accuser l’insuffisance.

Certes, il ne viendra à l’esprit de personne de contester le mérite et, jusqu’à un certain point, l’utilité de la découverte faite par M. Daguerre en tant que découverte ingénieuse et de progrès scientifique ; personne ne voudra méconnaître les avantages de la photographie lorsqu’elle est employée avec discernement et dans les cas où l’exactitude mathématique est la seule condition à remplir, une la photographie reproduise des monumens, des sites, et en général des objets inertes qui n’ont besoin pour nous intéresser que d’être naïvement rendus ; qu’elle essaie même, au moyen de perfectionnemens nouveaux, de multiplier les épreuves d’estampes rares, rien de mieux[1]. L’imagination et le sentiment de l’artiste n’ont point affaire en tout cela ; mais partout ailleurs ils sont de mise nécessaire. Lorsqu’il s’agit par exemple de traduire l’expression d’un visage, est-ce assez de limitation brute de la réalité, et se contentera-t-on d’un résultat forcément identique avec le modèle et pourtant en désaccord avec l’idée que nous avons de ce modèle ? Le caractère secret et les habitudes d’une physionomie ne viendront pas se fixer comme les contours d’une colonne sur la plaque ou sur le papier photographique, et le portrait ainsi obtenu sans le secours et l’entremise de l’intelligence n’aura qu’une ressemblance inachevée, figée pour ainsi dire, et s’arrêtant à la forme des traits. Il en sera de même lorsqu’au lieu de la figure humaine on aura pris pour type original un tableau. La photographie nous rendra ce tableau tel qu’il est, et non pas tel qu’il devrait paraître dans des dimensions et sous une forme nouvelles. Un graveur, en les transportant sur le cuivre, aurait su modifier certains détails, atténuer ou accentuer l’effet de certains tons, parce que la réduction des proportions et l’absence du coloris imposaient à la copie des conditions d’interprétation nécessaires ; l’artiste, sous peine de confusion dans son travail, aurait mis en relief ou sacrifié les élémens divers et les diverses parties dont se compose l’ensemble de la peinture originale. L’image photographique nous montrera le tout avec une imperturbable rigueur, une fidélité niaise et une précision qui, à force d’être impartiale, n’a plus ni intérêt ni signification, il ne manque pas de gens cependant qui placent pour le moins à côté des œuvres de l’art ces œuvres

  1. Ainsi, aucun homme ami des arts ne sera tenté d’accuser les progrès récens de la photographie, auxquels on doit la reproduction des estampes de Marc-Antoine. Il faut au contraire savoir gré à M. Benjamin Delessert du moyen qu’il a trouvé de rééditer ces estampes admirables, et de la popularité qu’il donne à des chefs-d’œuvre dont la possession était jusqu’ici le privilège d’un petit nombre d’amateurs. M. Dolessert, que ses goûts et son expérience d’iconophile éloignaient de reste de toute méprise sur la portée et les vraies ressources du procédé, a fait de la photographie un auxiliaire puissant de la gravure, mais il n’a nullement prétendu la substituer à celle-ci ; ce n’est pas, à coup sûr, quand elle est appliquée à de pareils objets, que la photographie peut devenir un dissolvant de l’art et du goût.