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par Louis XV : « Le mal véritable, celui qui mine le royaume et ne peut manquer d’entraîner sa ruine, est que l’on s’aveugle trop à Versailles sur le dépérissement des provinces. J’ai vu, depuis que j’existe, la gradation décroissante de la richesse et de la population en France. On a présentement la certitude que la misère est parvenue généralement à un degré inouï. Au moment où j’écris ; en pleine paix, avec les apparences d’une récolte, sinon abondante, du moins passable, les hommes meurent tout autour de nous comme des mouches, de pauvreté, et broutant l’herbe. Les provinces du Maine, Angoumois, Touraine, Haut-Poitou, Périgord, Orléanais, Berry, sont les plus maltraitées ; cela gagne les environs de Versailles. Le duc d’Orléans porta dernièrement au conseil un morceau de pain de fougère que nous lui avions procuré. Il le posa sur la table du roi, disant : Sire, voilà de quoi vos sujets se nourrissent.

C’est de ce profond abîme que la France a dû sortir pour remonter au jour. Il n’est pas étonnant qu’au bout d’un siècle d’efforts elle n’ait pas pu panser complètement ses plaies. Dans ce siècle, l’agriculture a quadruplé ses produits, la population a doublé, la rente des terres s’est élevée de 76 millions à 1,500, c’est-à-dire dans la proportion de 1 à 20. Ce sont là des progrès énormes, et si le point de départ n’était pas si bas, ils auraient suffi et au-delà pour maintenir notre rang. Aucun autre peuple, excepté l’Angleterre, n’en a fait de pareils dans le même laps de temps, et cependant les circonstances n’ont pas toujours été favorables. Sur ces cent années, cinquante environ ont été troublées par des révolutions horribles ou des guerres sanglantes. Nous n’avons eu de véritable bon temps que le règne de Louis XVI, le consulat, et les trente-deux ans de la monarchie constitutionnelle.

Le mouvement de régénération commence à se faire sentir après la paix de 1763, par les prédications des économistes en faveur de la liberté du commerce des grains. Dans ses articles de l’Encyclopédie, Quesnay, en montrant l’étendue du mal, avait indiqué les remèdes. Tous les progrès ultérieurs de l’agriculture nationale sont pressentis dans ces deux articles. Il fallut quelque temps pour que la doctrine nouvelle se répandit et fit école. En attendant, la vieille société achevait de se dissoudre. À l’avènement de Louis XVI, les aspirations du pays vers un état meilleur se firent jour de tous les côtés. Turgot porta la première main à l’édifice chancelant. Avant 1789, de grandes réformes étaient déjà faites : le travail avait été affranchi, la liberté du commerce des grains proclamée. Les premières délibérations de l’assemblée constituante achevèrent ce qui avait été si bien commencé. La nation respirait enfin. Si la France de 1789 avait su s’arrêter, comme l’Angleterre en 1655, nul doute que la richesse publique n’eût pris