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une clause spéciale qui promettait la démolition de cette citadelle, elle restait toujours debout, rappelant la sinistre prédiction de Lesdiguières : « Il faut que la ville avale le fort, sinon le fort avalera la ville. » Enfin, en 1627, Richelieu parut devant La Rochelle, et dès les premiers jours les habitans durent comprendre que c’en était fait de la vieille république d’Eléonore.

Le siège de 1573 avait eu les caractères d’une époque où la tradition chevaleresque ne s’était pas encore effacée. C’est de haute lutte que les capitaines du duc d’Anjou avaient voulu réduire la ville rebelle. Prodigues de leur propre vie, ils avaient peu marchandé celle de leurs soldats. La fureur de l’attaque, l’énergie de la résistance, expliquent la nature et l’énormité des pertes éprouvées par les deux partis, surtout par l’armée royale[1], en même temps qu’elles permettent de comprendre le résultat de l’entreprise. Cette manière de combattre laissait une chance à l’héroïsme, et cette chance avait été

  1. Voici, d’après les documens officiels recueillis par M. Genet, la composition et les pertes des deux armées.
    Le recensement fait par Lanoue le 9 février porte :
    Compagnies urbaines 8 de 200 hommes 1,000 hommes
    Grandes compagnies d’étrangers réfugiés 5 de 120 600
    Petites compagnies d’étrangers réfugiés 4 de 50 200
    Compagnie du maire, formée de tout le corps de ville et des principaux habitans 1 de « 150
    Compagnie de cavalerie 1 de « 200
    Compagnie de gentilshommes et officiers 1 de « 100
    Compagnie de pionniers 2 de 125 250
    Totaux 22 compagnies 3,100 hommes


    L’armée royale avait reçu à diverses reprises et avant les derniers assauts :

    Infanterie 27,000 hommes
    Suisses 6,000
    Cavalerie 1,500
    Canonniers 300
    Pionniers 3,000
    Charretiers conducteurs 600
    Troupes de marine 2,000
    Total 40,600 hommes


    Les Rochelais eurent environ 1,300 bourgeois ou réfugiés tués, parmi lesquels il faut compter 28 pairs ou échevins. Le maire, Morisson, dont l’énergie et l’activité aidèrent si puissamment au salut de la patrie, mourut, peu de jours avant la levée du siège, des suites de ses fatigues.
    L’armée royale perdit en tout 22,000 hommes. Plus de 10,000 avaient péri sur la brèche on dans diverses rencontres, et parmi eux on compte 200 officiers, 50 capitaines dont le nom avait marqué dans les guerres précédentes, et 5 mestres de camp.
    On voit que les pertes durent être dans les deux partis presque proportionnelles au nombre, et que ce siège coûta la vie à peu près à la moitié de ceux qui y prirent part soit comme assiégeans soit comme assiégés.