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d’antithèses. Nous oublierions volontiers ses poésies légères, mais lui ne put jamais les oublier : c’était le genre de sa jeunesse et de son amour, et il lui fut toujours fidèle. Aussi, dans toutes ses œuvres qu’on nous offre comme des merveilles, à travers la philosophie en pointes, l’ingénieux badinage de ses Entretiens sur la Pluralité des Mondes, le scepticisme gracieux de son Histoire des Oracles, et les élégantes saillies de ses Éloges, à travers toute cette afféterie, ce ton précieux et maniéré, on retrouve toujours ce talent qui ne voulait point cesser d’aimer la poésie légère. Il est ce qu’on appelle un savant agréable, un de ceux-là qui mettent sous une forme ingénieuse une philosophie inutile, qui ne voient dans la science qu’une matière à déclamations plaisantes, dans la poésie que l’art de bien dire. Nous avons vu dans le bas-empire bien de ces grands hommes, seulement ils mettaient en périodes ampoulées ce que Fontenelle mettait en périodes légères. Il a fait de la morale agréable, de la poésie agréable, comme d’Urfé et Scudéry faisaient des Cyrus, des Alexandre, des Toxartis agréables. Et ainsi, faisant coqueter la philosophie, manéger la science et minauder la morale, il est resté un de ces écrivains si bruyans dans l’histoire littéraire, qui n’inventent rien, mais qui jouent le rôle éternel de collaborateur en mettant en beau langage les idées d’autrui.

La clarté et la finesse propres à son style restèrent les deux seules qualités de la langue française du XVIIIe siècle ; mais ce n’était plus cette clarté profonde et étendue que les grands penseurs avaient trouvée et développée dans la langue, — la clarté des Pascal et des Bossuet ; c’était une clarté sautillante, provenant souvent du manque d’idées et de la banalité luisante des pensées. Pour la finesse, c’était celle qui aiguise les épigrammes, brille dans le jeu de mots, parade autour de l’antithèse. Comme à toute époque de décadence, tout le travail se portait alors sur le style ; pourtant la langue tendait à s’appauvrir et à se dessécher en spécialisant ou ridiculisant les mois les plus simples, les plus graves, mots devenus inapplicables dans leur sens ordinaire par l’abus de l’ironie et de l’équivoque. Le style, tout préoccupé de fuir l’amphibologie, souvent rampant, sans force ni énergie, jouait assez bien le naturel ; mais en l’étudiant on le trouvait toujours, au contraire, comme en grand apparat. Seulement l’habitude, des boudoirs lui avait donné une sorte de désinvolture ; ce poids d’afféterie et de grâces factices dont on le chargeait, il le portait avec aisance, comme les dames du temps qui traînaient sans efforts les quatre aunes de queue de leurs robes de présentation. Thomas et Chabanon au nom de la rhétorique, les petits de l’école encyclopédique empêtrés dans les idées nouvelles et les grands mots qu’ils faisaient manœuvrer, essayèrent une réaction contre ce faux naturel ; ils tombèrent logiquement dans l’effet contraire et furent empesés. Le style en effet était devenu si sec, si parfaitement momifié, pour ainsi dire, qu’il ne comportait ni pensée, ni tournure différente de celles autour desquelles il s’était comme étiré, et toute idée nouvelle, grande et noble, qui intervenait, ne pouvant être assimilée par lui, produisait non pas l’ampleur saine et continue, mais la bouffissure. Ces deux sortes de styles restèrent en présence jusqu’à la fin du siècle. La phraséologie déclamatoire et empesée, née des querelles philosophiques, devint le style de cérémonie, de prédication, le style avec lequel on parlait à