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cette voie. Appelé à prêcher lui-même, il sentait la nécessité de fonder la responsabilité morale de l’homme, et pour cela il avait besoin de croire à la volonté, à la liberté humaine, au mot humain. Il a écrit une réfutation de la théorie fataliste d’Edwards et un traité suites rapports de la volonté avec la morale et avec le christianisme[1]. J’écoutais avec un respectueux intérêt ce récit qu’un esprit élevé et sincère voulait bien me faire de son histoire. Je retrouvais ce que j’avais rencontré chez M. Henry, cette protestation pour la liberté humaine, si bien placée chez des hommes qui philosophent, au sein d’un peuple libre. M. Tappan, pour être un champion de la liberté humaine, n’en est pas moins un chrétien très convaincu et un pieux ministre. C’est sa religion et sa piété mêmes qui le poussent à maintenir les droits de la volonté humaine, sans laquelle il n’y a point de personnalité véritable, ce qui conduit, quand on est conséquent, droit au panthéisme. L’apôtre du moi a soulevé bien des ombrages dans le vieux puritanisme ; mais il gagne chaque jour des adhérens. Je crois que c’est là ce qu’il y a de plus intéressant dans le mouvement métaphysique américain[2]. On voit qu’il se passe tout entier pour ainsi dire dans le sein de la théologie ; il s’appuie au dehors sur le mouvement imprimé à la philosophie française par M. Cousin. M. Tappan s’entend parfaitement avec lui sur la liberté humaine et la causalité. Ils se sont vus récemment à Paris ; mais chacun d’eux avait quelque peine à parler la langue de l’autre. Heureusement, miss Tappan, qui sait parfaitement le français, leur a servi d’interprète ; ce qui fait, ce me semble, un tableau gracieux et un cadre piquant que Platon, grand admirateur de la sage Diotime, n’aurait peut-être pas rejeté pour un de ses dialogues.


7 novembre.

Depuis quelque temps, il n’est question que de l’arrivée de Kossuth. Chez quelques-uns, l’enthousiasme est à son comble. On proclame Kossuth le libérateur futur de l’Europe. Un prédicateur a dit en chaire que l’avènement de Kossuth était le second avènement du Christ. Dans certains journaux, on déclare que le moment est venu pour les États-Unis de peser sur les affaires de l’Europe, d’y soutenir le principe démocratique. J’ai lu un article dans lequel on parlait déjà d’envoyer une flotte dans l’Adriatique attaquer l’Autriche en prenant Fiume, et une autre dans la Baltique pour bombarder Cronstadt et Pétersbourg,

  1. M. Tappan est on outre l’auteur d’un traité de logique, qu’un juge bien compétent, M. Cousin, regarde comme égal à tout ce qui existe en ce genre en Europe.
  2. Si je faisais ni une histoire complète de la philosophie américaine, il faudrait mentionner quelques autres noms : celui de Channing, celui de M. Upham, qui lui aussi a réfuté Locke, et qui est auteur d’un traité de philosophie religieuse sur la Vie intérieure.