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Il est déplorable qu’un homme qui s’était prononcé avec énergie, à l’heure où plusieurs doutaient encore, pour la séparation complète des colonies, et, par un livre imprimé en 1776, avait concouru au triomphe de l’indépendance, ait attaché son nom à une si triste doctrine. Elle n’a eu, du reste, que bien peu d’écho en Amérique. On ne pourrait guère citer que cette pauvre miss Wright, qui allait, à travers les états de l’Union, prêchant avec l’athéisme l’abolition de l’esclavage, et dont on disait que sa profession de foi était celle-ci : — Il n’y a point de Dieu, et miss Wright est son prophète. — L’irréligion n’existe pas dans ce pays, ou du moins y est tout à fait dans l’ombre. Parmi l’innombrable quantité de journaux de tout parti, de toute secte, qui me passent chaque jour entre les mains, je n’en ai rencontré qu’un jusqu’ici dont la tendance soit hostile au christianisme. Ainsi cette philosophie-là est, je crois, entièrement étrangère aux États-Unis.

Je dois dire cependant que la Philosophie positive de M. Comte, qui, sous une forme sérieuse et scientifique, arrive à la négation de toute religion, même de la religion naturelle, est assez lue en Amérique, où on lui accorde peut-être plus d’attention qu’en France. J’ai entendu des hommes pieux en parler avec une certaine estime. Le nom de philosophie positive doit plaire dans le pays positif par excellence : l’enchaînement d’un système étroit et conséquent est fait pour agréer à des esprits plus fermes qu’étendus, et il y a, je crois, beaucoup de ces esprits en Amérique. Si le frein religieux se relâchait et si la pensée des Américains se détournait de la vie pratique pour se porter vers la spéculation, je ne doute pas qu’ils ne montrassent une extrême vigueur dans la déduction philosophique et beaucoup de hardiesse dans les conclusions. Ils iraient tête baissée, tout droit au bout d’un système, comme ils vont en Californie. À l’heure qu’il est, le peu d’esprits qui aux États-Unis s’occupent sérieusement d’études philosophiques s’appuient sur l’Europe. Chose remarquable, les deux hommes que j’ai vus aujourd’hui se sont appliqués à la même question, et cette question est celle du libre-arbitre. Ici, on s’attend à rencontrer la pratique plus que la métaphysique de la liberté. Les politiques ne s’en inquiètent guère. Aussi n’est-ce pas de la politique que le débat est sorti, c’est de la théologie.

On sait jusqu’où a été le protestantisme dans ses agressions contre la liberté de la volonté humaine, depuis Luther, qui a écrit un livre sur le serf arbitre par opposition au libre arbitre, et Calvin, dont la doctrine écrase en fait la liberté humaine sous la prédestination. Certains docteurs puritains de la Nouvelle-Angleterre et en particulier le plus célèbre et le plus influent de tous, Jonathan Edwards, ont attaqué théoriquement cette liberté avec toute l’énergie