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rurale des Anglais, ces vastes travaux au moyen desquels le duc de Portland, par exemple, est parvenu, en faisant arriver un canal sur une colline, en combinant les arrosemens et le drainage et en dépensant 1 million, à changer en superbes prairies tout un pays de landes incultes ; ces belles races d’animaux créées par un art persévérant qui, durant plusieurs générations, améliore et transforme presque les espèces en développant certaines qualités et en choisissant pour la reproduction les individus les plus perfectionnés, procédé merveilleux à l’aide duquel on fait à volonté de la force, de l’agilité, de la chair. Un art semblable ne peut se trouver aux États-Unis. En Amérique, on n’est pas, comme en Angleterre, dans un pays anciennement et savamment cultivé, où l’agriculture, à l’étroit dans une île, reportée successivement des terres les meilleures aux terres plus ingrates, a dû lutter par des progrès toujours nouveaux contre l’infériorité des terrains qu’elle était forcée d’exploiter. Ici le sol à cultiver est pour ainsi dire indéfini[1]. On peut choisir le meilleur et négliger le pire ; on n’a pas besoin d’améliorer celui que l’on cultive ; on aime mieux défricher un sol nouveau. L’Américain n’est point, comme l’Anglais, attaché par une possession héréditaire à une grande propriété à laquelle est annexée depuis des siècles une grande influence locale car la propriété est divisée, et le propriétaire mobile. En Angleterre, il y a concurrence entre les fermiers, et cette concurrence entraîne la nécessité des perfectionnemens qui permettent de payer d’un plus haut prix le droit d’exploitation. En Amérique, le système du fermage est presque inconnu ; le goût de l’indépendance personnelle lui est contraire. Ce qu’on appelle ici farmers, ce sont de petits propriétaires.

De toutes ces circonstances il résulte que la culture savante est loin d’être aux États-Unis ce qu’elle est en Angleterre, parce qu’elle n’a pas dans les deux pays la même raison d’exister. L’usage d’épuiser une terre et de l’abandonner ensuite va si loin, qu’il excite des réclamations dans les parties, il est vrai, les plus anciennement cultivées du pays. « Continuerons-nous, dit un agronome du Massachusetts[2], à épuiser la terre en la cultivant sans relâche et sans réparer l’énergie productive du sol ? Ce système, qui a déjà appauvri les terres, autrefois fertiles, de la Nouvelle-Angleterre, a atteint dans son progrès dévastateur beaucoup des plus belles campagnes des états de New-York et de l’Ohio, et poursuit sa route vers les régions reculées de l’ouest. Ces habitudes sont tellement funestes, qu’on estime à 1 million de

  1. La vingt-sixième partie seulement du territoire des États-Unis est défrichée. – Mme Somerville, Physical Geography, t. Ier, p. 218.
  2. Avant l’émancipation, le voyageur suédois Kalm reprochait déjà aux Anglo-Américains d’appauvrir leurs terres par leur manière de les cultiver.