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nerveuse, tour à tour passionnée et défaillante, que Racine doit ce caractère de son talent pendant sa jeunesse ? Je ne sais. Quant à l’œuvre de ses dernières années, cette merveilleuse Athalie, si différente de ses précédens ouvrages, si peu comprise par les contemporains, il faut aussi trop de complaisance pour y voir autre chose qu’une grande inspiration religieuse, due à ses souvenirs de Port-Royal, à ses amitiés jansénistes, enfin à la lecture assidue de la Bible, qui enhardit le génie de Racine et donna cette fois à son style une trempe singulière et une couleur d’un éclat inattendu. Qu’on se l’appelle le mot si souvent cité de Mme de Sévigné sur la conversion de Racine : « Il aime Dieu comme il a aimé ses maîtresses. » Mme de Champmeslé d’abord, et la religion ensuite, voilà peut-être les deux influences les plus profondes qu’il dut subir : non qu’il faille méconnaître l’ascendant que Louis XIV exerçait sur le poète, puisque Racine ne put se consoler d’avoir perdu, par une bonne action, la faveur royale et que sa disgrâce le tua.

S’il est un écrivain qui ne doive rien à son temps, c’est assurément Fénelon : il n’y a pas une de ses idées qui ne soit une protestation contre les opinions dominantes, officielles et approuvées. On sait combien le roi goûtait peu ce bel-esprit chimérique, et la correspondance de Fénelon prouve qu’il n’était guère plus juste à l’égard du roi. L’aversion que Fénelon éprouvait pour le système de Louis XIV lui a souvent inspiré des idées excessives, comme l’amour de la paix à tout prix et une simplicité par trop pastorale, dues à son horreur pour les conquêtes et pour le faste de Louis XIV. En ce sens, nous consentons à ce qu’on dise que c’est sur Fénelon que Louis XIV a eu le plus d’influence, une influence d’antipathie : n’a-t-on pas insinué que c’est aux faiblesses du roi que nous devons les plus beaux sermons de Bossuet et de Bourdaloue contre l’adultère ? Il ne s’agit que de s’entendre.

Cet inventaire, déjà bien long, des écrivains illustres que l’on rapporte au règne de Louis XIV serait incomplet, si l’on n’y joignait deux noms, moins éclatans sans doute que ceux de Fénelon et de Racine, mais qui appartiennent à la même époque, et qu’il est impossible d’oublier : La Bruyère et Boileau.

La Bruyère, qui écrivit ses Caractères vers la fin de la première moitié du règne (1687), peintre admirable de détails, n’est d’ailleurs mis par personne, je suppose, sur la même ligne que les grands moralistes qui l’ont précédé. Pascal et Bossuet ont peint l’homme en général ; La Bruyère, ses contemporains. Que ses portraits, image fidèle et précieuse de la société du temps, soient des chefs-d’œuvre de vérité et de vie, nul ne le conteste ; mais qui a jamais songé à comparer les beaux portraits que Rigaud peignait à la même époque