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c’est M. Soulé, réfugié politique de la restauration, qui a épousé avec une grande violence les passions du sud ; champion véhément, dans le congrès, de l’esclavage et de la conquête, M. Soulé y est éloquent en anglais. Les traces de la France s’effacent rapidement dans la Louisiane, et bien qu’un quartier de la Nouvelle-Orléans soit presque exclusivement occupé par une population d’origine française, la nationalité américaine, qui gagne chaque jour, ne tardera pas à faire disparaître ces restes d’une nationalité étrangère. Les Romains ne transformaient pas à ce point les peuples qu’ils soumettaient par les armes, car on a des preuves que dans l’empire romain diverses populations conservèrent l’usage de leur langue jusqu’aux derniers temps de la domination impériale. On pourrait plutôt comparer ce travail d’assimilation et d’absorption volontaire qu’exercent les États-Unis à l’infiltration de la civilisation grecque dans toutes les parties du monde où elle pouvait atteindre, et cette infiltration même était moins prompte. Il faut pourtant qu’il y ait une grande puissance dans des institutions et des mœurs auxquelles rien ne peut résister.

Je ne trouve pas à la Nouvelle-Orléans la même vie intellectuelle, le même mouvement scientifique qu’à Boston, à New-York, à Philadelphie. Cependant on y fait en ce genre de louables efforts et non sans succès. La Médical collection contient une suite d’imitations anatomiques en carton, qu’on a fait venir de Paris. J’y ai vu aussi quelques curiosités, entre autres un cochon né avec une trompe, parce que la mère pendant sa grossesse avait été effrayée par un éléphant : c’était avoir l’imagination bien vive pour une truie. Un physicien, M. Riddell, s’est occupé de ces animaux microscopiques si curieux dont les dépouilles presque imperceptibles ont formé des montagnes. En véritable Américain, qui cherche a tout faire par lui-même, M. Riddell a construit son microscope de ses propres mains, sauf les verres, qui sont de M. Spencer de New-York. Encore en cela fidèle au caractère national, M. Riddell m’a assuré que, si les savans français étaient supérieurs aux savans anglais et américains, M. Spencer l’emportait sur tous les fabricans d’instrumens d’optique, soit de la France, soit de l’Angleterre ; j’ai quelque peine à le croire. Chez M. Riddell se trouvait un botaniste qui habite les bords de la Rivière Rouge, à l’ouest du Mississipi. Hier il n’y avait là que des sauvages, aujourd’hui il y a des botanistes. J’ai assisté à un cours de chimie que fait M. Riddell. Le sujet de la leçon était le chlore. Ce hasard m’était heureux, car j’avais là encore un intérêt de famille, mon père ayant le premier reconnu un corps simple dans ce gaz qu’on regardait comme un corps composé et qu’on appelait acide muriatique oxygéné. À la détermination de la vraie nature du chlore se rattachait, comme on sait, toute une révolution dans la théorie chimique fondée par Lavoisier.