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aux quatre côtés de la salle le grand prince, la princesse et les boïars, tous dans l’admiration de la beauté de l’étranger. Vladimir fait apporter une coupe grande comme un demi-vedro, la remplit de vin vert et la présente à Dïuk Stepanovitch, qui la vide d’un seul trait. Les cuisiniers apportent ensuite des gâteaux en fin gruau de froment ; Dïuk prend seulement la croûte supérieure et jette loin de lui le reste. — Pourquoi fais-tu ainsi le dégoûté ? -lui demande hardiment le jeune Tchurilo Plenkovitch, qui était alors en grande faveur à la cour. Le héros de Galitch répond très poliment : — Je ne suis pas accoutumé à manger des gâteaux cuits comme le sont ceux-ci. Chez vous, on se sert de vieux linges pour nettoyer les fours construits avec de la terre glaise et pavés avec des briques brutes qui donnent au pain qu’on y dépose une mauvaise odeur, tandis que chez madame ma mère les fours sont construits avec des briques vernies, carrelés avec des plaques de cuivre et nettoyés avec des étoffes de soie ; aussi quels gâteaux que ceux qu’on cuit dans de pareils fours ! on ne se Lasse pas d’en manger.

« Ces propos piquèrent la curiosité du grand prince Vladimir, au point qu’il résolut d’aller s’assurer par ses propres yeux si Galitch possédait réellement tout le luxe et toutes les somptuosités que lui supposait son héros… Parti avec toute sa cour, Vladimir arriva à l’improviste à Galitch, chez l’illustre veuve, mère de Dïuk Stepanovitch ; celle-ci, sans se déconcerter, prépara un grand festin pour le prince de Kiœv, qui, assis avec tous ses boïars à de blanches tables de chêne, dans de superbes térèmes, but et mangea à satiété pendant quatre jours… puis il remercia la riche veuve, et dit à Dïuk Stepanovitch : — C’était bien la vérité, ce que tu nous avais dit du luxe de Galitch. »


Une autre piesna qui montre encore avec plus de clarté la faiblesse de la primitive monarchie russe, c’est celle du boïar Stavro.


« Tous les boïars et bogatyrs de Russie sont réunis en festin chez leur grand prince Vladimir de Kiœv… Ils boivent, ils mangent, ils se réjouissent, et ils élèvent aux nues la gloire de leur puissant monarque. Un seul boïar ne parle ni ne mange, le boïar Stavro Godinovitch. Enfin d’un air dédaigneux il dit à son voisin : Qu’est-ce que cette citadelle de Kiœv ? Qu’est-ce que ce palais de Vladimir ? Ma demeure à moi, boïar Stavro, vaut bien la ville de Kiœv. Ma cour a sept verstes d’étendue, mes salles éblouissantes sont en chêne blanc, recouvertes de peaux de castor gris ; les poutres y sont dorées, les murs y sont tapissés de notre zibeline, et le parquet y est en marqueterie d’argent.

« Le prince Vladimir a entendu ces propos. Il fait saisir le boïar Stavro lui fait mettre des chaînes de fer aux pieds et aux mains, et le jette dans un souterrain profond. Puis il envoie ses intendans confisquer la résidence du rebelle, et ordonne qu’on amène auprès de lui sa femme prisonnière ; mais celle-ci, prévenue à temps, coupe à la hâte sa longue chevelure, s’arrange les cheveux comme un homme, prend des bottes vertes à la tatare, et se déguise en envoyé menaçant du grand khan de l’orde d’Or. Accompagnée d’une suite nombreuse, elle prend alors le chemin de Kiœv, pour aller demander à Vladimir les tributs et les impôts arriérés de douze années, dus par lui à la grande orde… Elle ne tarde pas à arriver dans la capitale des Russes.

« L’apparition subite de ce menaçant ambassadeur répand l’effroi à la cour