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aigle à huppe rousse s’est jeté sur la poitrine de la défunte : il lui a coupé sa main droite, sa main droite ornée de l’anneau d’or du mariage, et puis il l’a emportée avec lui dans son vol.

« Cependant la petite princesse Anna Romanovna, inquiète de ne plus voir sa mère, va trouver son père et lui dit : Soudar, prince Roman Vasilievitch, où as-tu donc mis notre maman ? — Ma petite âme, répond le knïaze Roman, ta mère est allée se nettoyer à la rivière et laver son linge richement brodé. La jeune Romanovna pari comme une flèche : — O ma nourrice, et toi, ma gouvernante, et vous, mes gentilles suivantes, montons ensemble au haut de notre belvédère, pour voir madame ma mère, comment elle lave à la rivière son linge richement brodé. — Toutes montent au haut des térèmes ; mais elles ont beau regarder, elles ne voient point la princesse mère.

« La jeune fille retourne auprès de son batiuchka : — Où as-tu donc mis maman ? Nous ne l’avons aperçue nulle part du haut de nos térèmes. — Elle est allée se promener dans le vert jardin, sous les noyers et les cerisiers, répond le knïaze Roman. Aussitôt la jeune Romanovna s’élance avec ses suivantes dans le vert jardin, telles en parcourent toutes les allées, et ne trouvent pas ce qu’elles cherchent. Seulement elles aperçoivent une chose étrange : dans les airs vole un jeune aigle, avec des lambeaux de chair entre ses grilles, et en volant il laisse tomber au milieu du vert jardin une blanche main avec une alliance d’or. La jeune princesse Anna Romanovna accourt avec ses suivantes ; elle considère la blanche main ornée de l’anneau d’or, et reconnaît la main de sa mère… »

Généralement la poésie populaire russe trouve ses meilleures inspirations quand il s’agit pour elle d’embellir les anniversaires d’intérieur et les principales fêtes religieuses de l’année. Ainsi les douze soirées qui précèdent celle de Noël forment en Russie, sous le nom de zvïatki, une période pleine de joie, de danses et de poésie. L’origine de ces réjouissances remonte au-delà même du christianisme. On les retrouve jusque dans les Alpes illyriennes. Elles datent évidemment du paganisme slave. C’est le moment où les jeunes amoureux font aux jeunes filles leurs déclarations les plus tendres. Il n’est pas alors jusqu’aux vieillards qui ne reverdissent. Les vieilles femmes devisent de leur belle jeunesse et apprennent aux fillettes les secrets de leur coquetterie passée. Enfin cette staraïa Russ, cette vieille Russie, toute perdue des blessures morales faites à sa nationalité par tant de peuples conquérens, semble ressusciter comme une vierge immaculée. Les maisons les plus généralement aimées de chaque ville et de chaque village sont les lieux où se célèbrent ces fêtes. Avant que la soirée commence, les jeunes filles avec leurs servantes parcourent en chantant les habitations de leurs proches et amis, réclamant d’eux un petit tribut pour les aider à rendre la fête plus complète. Les pièces qui se chantent à cette occasion s’appellent sviatotchnaïa. Nous en traduirons une que l’auteur russe d’un nouveau recueil de piesnas, M. Kirieevski, déclare avoir copiée et entendue à Arkhangel :