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tes neuf fils réunis. La pauvre vieille retourne à la maison ; en y rentrant, elle aperçoit les deux ames de ses deux petits-fils qui, changés en colombes gémissantes, voltigeaient d’un lieu à l’autre. Quant à ses neuf enfans, ils sont devenus neuf cailloux glacés, et leurs neuf épouses neuf serpens, et les serpens s’entortillaient en sifflant autour des neuf cailloux. »


Des pièces sérieuses comme celle-ci sont très rares dans les recueils de chants slaves. Les poèmes des gouslars expriment plutôt la gaieté et un singulier penchant à la moquerie, presque au grotesque : souvent les hommes y apparaissent sous la forme des bêtes auxquelles ils ressemblent par leurs défauts ; mais ces caricatures, dessinées en quelques traits rapides, constituent rarement la pièce entière. Du reste, le Russe seul est sarcastique ; la raillerie serbe mord rarement jusqu’au vif, comme le prouve cette courte chanson :


« Paul est allé joyeux au conseil ; il en revient soucieux et morose. Sa sœur la belle Hélène, vient lui prendre la bride de son cheval, et lui demande en souriant : Paul, mon frère, sur quoi les seigneurs ont-ils délibéré au conseil ? — Sur toi-même, ma petite Hélène, sur ta beauté et la sagesse. Le ban, qui brûle de t’embrasser, te défend d’aller seule, au haut de la montagne de Michlian, chercher de l’eau à sa fontaine. Il a parié avec moi sept châteaux et trois cents ducats d’or que tu ne l’oseras jamais.

« — Ne crains rien, Paul, mon petit frère ! Donne-moi seulement un costume de guerrier et un beau cheval alezan, pour que je puisse faire le voievode. — Paul accorde sa demande à Hélène. Elle se couvre d’un manteau de commandant, ceint le sabre paternel et met sur sa tête le kalpak de zibeline, au long plumet doré. Puis elle gravit à cheval la montagne de Michlian. En la voyant de loin, le ban la prend pour le fils même du roi. Il sort de sa forteresse, vient au-devant d’elle et lui baise le pan de son habit, en disant : Secours de Dieu sur toi, tsarevitj !

« Hélène gravement lui répond : Salut, jeune ban ! Y a-t-il dans ces environs quelque jeune fille de ta connaissance qui pourrait me convenir ? — Certes, mon tsarevitj, s’écrie le ban, il y a ici près une rare beauté, la sœur du guerrier Paul ; elle te conviendrait parfaitement. — Pourrais-tu me conduire vers sa blanche demeure ? — Aussitôt le ban se met à marcher devant la jeune fille. Il arrive jusqu’à la kula de Paul, où il introduit lui-même Hélène.

« Celle-ci rentrée chez elle remercie le ban, et lui annonce avec un rire malin qu’il vient de perdre sept châteaux et trois cents ducats d’or. — Ce n’est pas là ce qui me chagrine, répond le ban avec dépit : ce qui m’est dur, c’est que moi qu’aucun homme d’état n’avait pu tromper jusqu’à présent, je me sois laissé duper par une jeune fille. »


Les plus nombreuses et les plus belles d’entre les piesnas de femme sont consacrées à peindre ce que les jeunes filles appellent l’empire de virginité (dievovanïa tsarstvo) avec son indépendance et ses magiques illusions. À ce cycle de chastes et fières poésies se rattachent quelques-unes des plus remarquables inspirations de la