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nistre ni à son ami le lieutenant de police, que nous voulions céler ni ma conduite, ni ma retraite, et nous continuâmes notre petit commerce clandestin tout le temps que je demeurai séquestré.

« Beaumarchais, de retour à Paris, apprit mon aventure, il ressentit un juste courroux, vint me prendre et m’emmena chez lui. « Soyez, sûr, me dit-il, qu’ils ne vous feront arrêter ni dans ma voiture ni dans ma maison. »

« Il fut trouver M. de Maurepas et lui dit que j’allais porter plainte au parlement contre le grand conseil, et que mon affaire, compromettant l’un avec l’autre ces deux grands tribunaux, ferait encore plus de bruit que la sienne. — Ce n’est pas cela qu’il faut faire, lui répartit le comte de Maurepas ; que votre ami présente une requête au conseil, et nous anéantirons bientôt ce décret rendu ab irato. »


Au bout de quelques jours, en effet, Beaumarchais eut tiré l’ami Gudin de ce mauvais pas, et rien ne peint mieux sa situation à cette époque que le ton de ses lettres aux ministres, et particulièrement au garde des sceaux :


« Monseigneur, lui écrit-il, j’ai l’honneur de vous adresser la requête au conseil du roi de mon ami M. Gudin de la Brenellerie, qui réunit au génie le plus attrayant la simplicité d’un enfant, de Candide, et qu’en votre qualité de protecteur des lettres en France, vous jugeriez digne de toute votre bienveillance, s’il avait plus l’honneur d’être connu de vous. »


Gudin obtient d’abord sa liberté provisoire, et Beaumarchais insiste par la lettre suivante :


« Paris, le 28 décembre 1778.

« Monseigneur, en vous rendant de très humbles actions de grâces de la liberté provisoire que le roi a accordée à M. Gudin de la Brenellerie, permettez-moi de solliciter l’arrêt définitif qui casse et annule l’étrange arrêt du grand conseil.

« Ce tribunal, plus étrange encore que son arrêt, avait chargé ses huissiers de fouiller exactement tous les papiers de mon ami, pour tâcher d’y trouver quelque chose qui lui donnât prise sur moi. Ils s’en sont expliqués ; mais n’ayant vu de moi chez lui que mon portrait gravé, ils ont eu la sottise, en décrivant jusqu’aux verres, cadres et estampes qui ornaient son cabinet, de mettre dans l’annotation des gravures ces mots : et notamment une estampe représentant le sieur Caron de Beaumarchais.

« Certes, mon cher huissier, tu as raison, ai-je dit en lisant ce mot notamment. Mon portrait offre notamment le souvenir du plus sanglant reproche qu’on puisse faire au méchant tribunal auquel le grand conseil a la bonhomie de s’identifier aujourd’hui. C’est donc moi notamment, monseigneur, que ces messieurs poursuivent dans la personne de mon ami.

« Si j’avais eu à plaider la cause de M. Gudin devant eux, aussi bon logicien qu’ils sont injustes magistrats, je leur aurais dit en trois mois latins : est-ce comme grand conseil, messieurs, que vous m’attaquez ? Je ne suis point bénéficier, nescio vos. Est-ce comme juge naturel des ouvrages imprimés ? Vous n’êtes point le parlement ; non bis in idem. Est-ce enfin comme les tristes