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de La Blache, qui fut l’origine de ses tribulations et de sa célébrité, subsiste toujours, et au milieu de ses triomphes tient en échec sa fortune et son honneur. L’homme de confiance du ministère dans l’affaire des États-Unis, le populaire auteur du Barbier, est sous le coup d’une sentence inique qui le déclare indirectement faussaire et met ses biens à la discrétion d’un ennemi. C’est encore là une discordance qu’il est important pour lui de faire disparaître de sa vie ; aussi devons-nous, avant de le suivre dans sa carrière d’agent politique et d’armateur, où il apparaît sous un jour nouveau, le montrer se débarrassant enfin de cet éternel procès, dont la conclusion nous fournira quelques détails de mœurs assez curieux.

Le jugement rendu contre Beaumarchais avait été cassé par un arrêt du grand-conseil à la fin de 1775, et l’affaire renvoyée devant le parlement de Provence. Le comte de La Blache, voyant grandir rapidement le crédit de son adversaire, pressait de toutes ses forces la solution définitive. Beaumarchais y mettait moins de hâte : occupé d’organiser son opération d’Amérique et d’obtenir sa réhabilitation au criminel, il ne voulait vider l’incident civil qu’après avoir bien assuré sa situation et s’être ménagé tous les moyens de lutter avec avantage contre un maréchal de camp riche, opiniâtre et remuant. Ainsi s’explique le billet suivant du ministre des affaires étrangères, M. de Vergennes, à Beaumarchais, qui avait demandé un ajournement, et qui, on le verra, avait déjà su établir une liaison assez étroite entre les affaires de l’état et ses propres affaires.


« Versailles, le 2 juin 1776.

« Je n’ai reçu qu’hier, monsieur, votre billet daté, je crois, par erreur du 30 mai. Je n’ai pas été moins surpris que vous d’apprendre qu’il y avait un rapporteur nommé à Aix dans votre affaire avec M. le comte de La Blache. J’ai vu hier à cette occasion M. le garde des sceaux, qui a immédiatement donné ordre pour qu’il soit écrit à M. de La Tour, premier président de ce tribunal, à l’effet de faire suspendre toute procédure ultérieure. M. le garde des sceaux estime au reste, que la nomination d’un rapporteur ne peut être d’aucune conséquence. Vous connaissez, monsieur, la sincérité de mon intérêt pour tout ce qui vous regarde. »


Le billet est sans signature comme plusieurs des billets de M. de Vergennes, mais il est parfaitement authentique et nous donne une idée du degré de crédit auquel Beaumarchais était parvenu en 1776.

Un mois après la date de ce billet, en août 1776, il perdit un de ses patrons les plus affectueux et les plus puissans, le prince de Conti. Ce prince, que Louis XV appelait mon cousin l’avocat à cause de son goût pour la discussion et l’opposition, était de plus un esprit fort. Au lit de mort, il refusait de recevoir les sacremens de l’église. Si l’on en croit Mme Du Deffant, il persista dans son refus, car elle dit :