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la salangane bâtit ces nids visqueux que le Chinois achète au poids de l’or ? Le résident de Buitenzorg voulut nous conduire lui-même aux grottes de Tjampeo, creusées par la nature dans les contreforts calcaires qui supportent la chaîne du Salak. Deux relais de chevaux disposés à l’avance sur la route nous amenèrent au pied de la montagne qu’il fallait gravir pour arriver à l’entrée de ces labyrinthes souterrains. C’est là que nous trouvâmes le fermier chinois auquel a été concédée, au prix d’une rente annuelle de 170,000 francs, la recolle totale de ces nids d’hirondelles, qui se vendent à Java 158 francs environ le kilogramme. Des chaises ou des fauteuils attachés à deux brancards avaient été disposés par les soins de cet opulent déserteur du Céleste Empire. Nous nous résignâmes une fois de plus à accepter le secours de nos semblables, et à nous laisser porter par un sentier glissant jusqu’au but difficile que nous voulions atteindre.

Il se faut entr’aider : c’est la loi de nature.

Le Javanais attelé à la chaise de l’Européen, ce n’est après tout que l’aveugle qui porte le paralytique, et j’avoue que sous ce soleil ardent, sous ce climat dont la langueur m’accablait, loin de voir dans l’assistance qui m’était offerte une offense à la fraternité humaine, j’en croyais contempler au contraire le plus touchant emblème.

La nature, à Java, est un livre à chaque page duquel il faudrait écrire : beau ! admirable ! prodigieux ! — Parvenus à l’ouverture des cavernes, qui plongeaient brusquement dans les entrailles de la montagne, nous hésitions à nous enfoncer sous terre, quand le soleil éclairait autour de nous un si merveilleux paysage. De grands arbres aux rameaux étendus comme ceux du cèdre couvraient d’ombre et de fraîcheur les pentes de la colline. Entre leurs troncs penchés s’ouvraient vers la campagne de délicieuses échappées et des lointains infinis. Des troupes de singes noirs gambadaient au milieu du feuillage, pendant que de vieux magots demeuraient philosophiquement assis sur les branches. Les hirondelles aux reflets satinés voltigeaient d’une aile inquiète autour de nous. L’atmosphère était calme, le ciel d’un bleu d’azur. Il semblait que le Seigneur arrêtât un regard satisfait sur son œuvre. Mais chacun de nous fut bientôt saisi sous les bras par deux Javanais. Nous disparûmes en chancelant dans les profondeurs où nos guides, semblables à des génies sataniques, s’efforçaient de nous entraîner. Au lieu de la lumière du jour, nous n’avions plus, pour conduire nos pas sous ces voûtes ténébreuses, que la lueur enfumée des torches. Nous errâmes longtemps dans des galeries où l’on entendait tomber goutte à goutte l’eau qui filtrait à travers les fissures du rocher. Des milliers de nids gélatineux étaient attachés aux parois de la grotte. On en détacha quelques-uns devant