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commerçant anglais n’ignore pas cette universalité du journal, et, à mesure que les chemins de fer augmentent la masse des acheteurs qui veulent se pourvoir dans la capitale, il multiplie lui-même ses annonces afin de répandre le nom de sa maison. L’annonce est pour lui le principal et presque l’unique moyen de publicité. Par contre-coup, le chaland qui n’a pas d’habitudes faites et qui veut être assuré de trouver du premier coup ce dont il a besoin, ne se met guère en route pour une emplette sans avoir vérifié si son journal ne contient pas l’adresse de quelque maison spéciale et l’indication du prix courant de la marchandise.

La presse anglaise a proclamé l’égalité des annonces. Dans les journaux français, l’annonce tient encore beaucoup de l’affiche, elle recherche la singularité dans la rédaction et dans les caractères, elle prend volontiers des proportions immenses. Rien de semblable ne se rencontre dans les journaux anglais. Toutes les annonces sont imprimées dans le même caractère et en la même forme, avec des titres de la même dimension; il est rare qu’elles dépassent dix ou douze lignes, hormis pour les propriétés à vendre dont la description est quelquefois donnée avec d’amples détails. Ces annonces sont classées méthodiquement, de sorte que toutes celles qui sont de même nature se trouvent à côté les unes des autres. C’est là encore une des causes qui multiplient les annonces, car les maisons dont les noms se trouvent souvent répétés acquièrent, par l’habitude que l’on contracte de les voir à la même place, une notoriété qui constitue peu à peu dans l’esprit du public une certaine prééminence. Il en est résulté une autre conséquence, la spécialité des annonces dont nous avons déjà parlé ; par cela seul que le public s’est habitué à chercher dans un journal les annonces d’une certaine nature, tous les gens qui ont des annonces semblables à faire ont intérêt à s’adresser à ce même journal, et cela finit par être indispensable. Le même fait s’est produit pour les mêmes causes aux États-Unis. Le Times, pour sa part, a deux spécialités, ou plutôt il a le monopole absolu de deux sortes d’annonces. C’est à lui que s’adressent tous les gens qui cherchent un emploi et tous ceux qui cherchent un employé. Tous les jours deux cents laquais, valets de chambre, domestiques, bonnes, cuisinières, etc., demandent une place par la voie du Times, et tous les jours aussi deux cents personnes demandent dans les colonnes parallèles un domestique, une bonne, un commis, une institutrice. Ces annonces, qui n’ont chacune que deux lignes, trois au plus, constituent un des plus beaux revenus du Times, parce qu’elles doivent approcher du chiffre de cent mille par an. L’autre spécialité est plus étrange encore. La quatrième colonne de la première page du Times est en quelque sorte une poste aux lettres supplémentaire. C’est un moyen de correspondre sans rompre l’anonyme et sans savoir l’adresse des gens. Il ne se passe guère de jours sans que quelque femme abandonnée ou quelque famille attristée n’adresse, par la voie du Times, un appel à un époux fugitif, à un fils indocile, à une fille en route pour quelque Gretna-Green continental. Toutes les lettres de l’alphabet s’appellent, se supplient et se menacent réciproquement par la voie de cette quatrième colonne. L’an dernier, pendant près de trois mois, nous y avons vu chaque semaine « une colombe qui n’avait plus qu’une aile » implorer à grands cris le a retour du ramier qui devait la protéger. »