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ADELINE PROTAT.

comment la Madelon avait pu découvrir ce secret, et elle avait beau repasser dans sa mémoire tous les incidens des jours précédens et de la matinée ; dans sa conduite et dans ses paroles, elle ne se rappelait aucun fait, aucun propos qui eût pu la trahir. Tout à coup elle trembla de tous ses membres, en songeant que, dans cet instant même, son père avait une explication avec Madelon. Si, au lieu de lui porter des paroles de paix, comme elle l’en avait chargé, le bonhomme se laissait gagner par son penchant à la colère et faisait échouer cette réconciliation, sur laquelle elle comptait pour acheter le silence de la servante, celle-ci, avant d’aller répandre son secret par tout le village, commencerait par le jeter comme une menace à la tête de son père. À cette pensée, tout son sang se glaça. Elle sentit son cœur s’arrêter dans sa poitrine. Un nuage passa devant ses yeux. Elle allait s’évanouir, lorsque sa main brûlante tomba sur un objet qui lui causa une fraîcheur soudaine ; elle venait de s’appuyer sur la clé restée au tiroir de son petit meuble.

Adeline s’aperçut alors d’une chose qu’elle n’avait pas remarquée jusque-là, c’est que cette clé était précisément restée sur celui des tiroirs qui contenait la lettre, le lorgnon et le portrait appartenant à Lazare.

— C’est singulier, murmura-t-elle avec un commencement d’inquiétude, je suis pourtant sûre de l’avoir fermé, et cette clé ! continua-t-elle ; mais je l’avais retirée, comme toujours. — Et son inquiétude redoublait. Tout à coup, comme ses yeux erraient vaguement autour d’elle dans sa chambre, elle vit se mouvoir les plis d’un rideau formant portière et destiné à cacher une communication condamnée ayant issue sur le petit cabinet habité par l’apprenti Zéphyr. Adeline se leva, souleva entièrement le rideau, et vit que la porte condamnée avait été ouverte. On ne l’avait pas même entièrement refermée. Un courant d’air avait agité le rideau qui signala cette quasi-effraction à la jeune fille, dont l’inquiétude s’était changée en soupçon. Cette découverte fit d’abord oublier à Adeline l’incident de la clé ; mais les deux faits ne tardèrent point à se réunir. L’un semblait la conséquence de l’autre.

— On est entré chez moi par la chambre de Zéphyr, pensa Adeline, et tout à coup la lueur se fit dans son esprit. Elle courut au meuble, ouvrit le tiroir, y jeta un regard rapide.

Il était vide.

— Ah ! s’écria-t-elle en poussant un cri, tout s’explique ; c’est la Madelon qui a fait le coup.

L’indignation, la terreur, les larmes la suffoquèrent ; elle voulut crier : sa bouche devint muette, ses yeux se fermèrent, elle tomba évanouie.