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Adeline comprit qu’elle avait laissé échapper un mot imprudent, et se mordit la lèvre.

— Il faut bien croire que tu as besoin d’elle, puisque tu veux qu’elle reste chez nous, et, pour la garder, il faut bien faire des concessions.

— Comment ? je veux,… s’écria le sabotier, qui ne comprenait plus rien ; mais je ne veux rien du tout, moi. Que Madelon parte ou demeure, ça m’est bien égal.

— Mais non, fit Adeline en lui passant les bras autour du cou et en le tenant embrassé, cela ne t’est pas égal, puisque tu désires tout ce que je souhaite, et que moi je désire que Madelon ne s’en aille pas.

— Ah ! comme ça, c’est autre chose, balbutia Protat, pris à la fois dans les rets des caresses de sa fille et dans la glu de sa subtilité. — C’est égal, continua-t-il, tu conviendras que c’est un peu fort d’aller faire des excuses à une servante… quand c’est elle au contraire…

— Mais, va donc, répondit Adeline en le poussant du côté du jardin, dans lequel elle venait de voir entrer Madelon.

— J’y vais, j’y vais, murmura le sabotier en faisant quelques pas dans la direction que lui indiquait sa fille ; mais, comme il se retournait subitement avant de quitter la chambre, il aperçut Adeline qui venait de se laisser tomber sur une chaise, et qui se cachait la tête dans ses mains comme si elle pleurait. Protat se disposait à revenir sur ses pas, quand il réfléchit qu’il ne pourrait rien apprendre par Adeline, qui semblait avoir une grave raison pour se taire. Il pensa que Madelon seule était instruite du motif de cette affliction, qui lui paraissait plus que jamais devoir se rattacher à la querelle qu’il avait mission de concilier.

— Allons trouver Madelon, dit Protat, qui commençait à être inquiet.

Et il ajouta tout bas : — Que diable se passe-t-il, et qu’est-ce que je vais trouver au fond du sac ?

Adeline, restée seule, ne demeura pas longtemps dans la salle basse. Craignant d’y être surprise au milieu de ses larmes par le retour de son père et de sa servante, elle remonta dans sa chambre, qui n’était séparée de celle qu’habitait actuellement Lazare que par une espèce de cabinet où couchait l’apprenti Zéphyr.

Cette chambre, décorée avec une recherche voisine du luxe, était, comme nous l’avons dit, garnie des meubles apportés de l’hôtel de Bellerie. C’était un réduit charmant, et rendu presque mystérieux par les doubles rideaux de la fenêtre, qui ne laissaient pénétrer qu’une lumière paisible. Il régnait dans cette pièce cette douce