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ADELINE PROTAT.

matin, tu vas aller trouver la Madelon, et tu feras ma paix avec elle.

— Si ça te fait plaisir, je veux bien ; mais elle ne restera qu’à la condition…

Adeline interrompit vivement son père.

— Sans condition… dit-elle, puisque c’est moi qui ai eu tort… Je t’assure que si, ajouta-t-elle en voyant que le bonhomme secouait la tête d’un air de doute ; c’est pour ça que je suis fâchée de ce qui est arrivé ; il faut nous raccommoder ; d’ailleurs elle est très utile dans la maison… nous ne pourrions pas la remplacer facilement… Dis-lui que tu m’as grondée quand tu as appris que je voulais la renvoyer ; je ne te démentirai pas.

— Comment dis-tu ? fit Protat étonné et effrayé de voir que sa fille songeait à atténuer l’unité du pouvoir en plaçant son autorité à lui au-dessus de la sienne ; pas de ça, Lisette, c’est toi qui commandes ici, et, quand j’obéis moi-même, il me semble qu’une domestique n’a pas le droit de se montrer plus fière que moi. Je vais appeler Madelon. Nous allons nous expliquer tous les trois. Si elle est raisonnable, nous ne la renverrons pas ; mais si elle s’obstine encore et fait sa mauvaise tête, dit le sabotier en prenant sa grosse voix, eh bien ! elle s’en ira, et bon voyage…

— Allons ! fit Adeline, voilà que tu veux tout gâter avec ton emportement. Ce n’est pas ainsi qu’il faut s’y prendre, et d’ailleurs je ne dois point paraître dans tout ceci. Il faut au moins avoir l’air de ménager mon amour-propre devant Madelon. Va la trouver, et dis-lui tout doucement : — Eh bien ! qu’est-ce que j’apprends donc, que vous nous quittez, mère Madelon ? Mais je ne donne pas la main à cela, moi. Qu’est-ce que c’est que ces bêtises-là ? Je suis un peu le maître aussi, que diable…

— La Madelon va me rire au nez si je lui dis ça, fit Protat avec conviction.

— Jure un peu comme si tu étais en colère après moi, dit Adeline en continuant à faire la leçon au bonhomme. Dis-lui encore : — Est-ce que vous devriez faire attention aux vivacités d’une étourdie qui a la langue un peu prompte et qui a été mal élevée ?

— Mal élevée, toi, qui as été instruite comme une princesse ! s’écria le sabotier en faisant un bond de surprise.

— C’est précisément à cause de cela que je n’ai pas été bien élevée pour une paysanne. Dis ça à Madelon, ça lui fera plaisir ; tu sais bien que c’est son idée. Quand on a besoin des gens, il faut flatter leur manie.

— Comment, besoin ? mais je n’ai pas besoin de Madelon, ni toi non plus, dit le bonhomme, ahuri par les étranges conseils que lui donnait sa fille.