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qu’une affaire de ménage. Ce fut en vain qu’il déploya toute son adresse et fit des prodiges de diplomatie inquisitoriale que n’eût point désavoués un juge d’instruction ; Adeline se maintint dans son silence. Pour mieux convaincre son père et lui prouver que sa tristesse n’avait pas d’autre cause que le départ de Madelon, elle supplia même le bonhomme de parler à la vieille femme et d’essayer d’arranger les choses.

— Parbleu ! non, s’écria le sabotier, je ne garderai pas dans ma maison une entêtée et une querelleuse qui ne veut pas comprendre qu’on ne se met pas chez les autres pour faire ses volontés. Pour que la Madelon t’ait mise dans la nécessité de la renvoyer, il faut qu’elle ait de grands torts envers toi.

Adeline rougit extrêmement ; elle connaissait le caractère emporté de son père ; elle savait que, si le bonhomme se mettait dans la tête que la Madelon l’avait sérieusement offensée, il irait lui faire une scène violente, et dans les dispositions hostiles où elle avait laissé la servante, elle craignit que celle-ci ne pensât à se venger de son renvoi en répétant à son père quelque propos de nature à l’alarmer. Les allusions qui l’avaient tant effrayée, il lui semblait déjà les entendre murmurer sur son passage par tous les gens du pays, instruits par les indiscrétions de la servante chassée ; à tout prix, il fallait donc renfermer dans la maison, entre elle et Madelon, le secret que celle-ci avait découvert, et que sa rancune pouvait aller répandre au dehors, si on lui laissait passer la porte. Adeline, appelant à son aide toutes ses ruses, toutes ses câlineries d’enfant gâtée, manœuvra son père de façon à ce qu’il prit sur lui d’opérer sa réconciliation avec Madelon.

— À tout bien considérer, — lui dit-elle en rougissant, moins encore à cause de ce mensonge que pour le motif qui le lui faisait commettre, — c’est moi qui ai manqué de patience. J’ai été vive, trop vive avec Madelon ; elle a beau être notre servante, c’est une vieille femme un peu susceptible, comme tous les gens âgés ; je l’aurai mortifiée en lui parlant un peu trop haut, d’ailleurs j’étais mal disposée depuis ce matin.

— Mal disposée, allons donc ! dit Protat ; jamais, au contraire, je ne t’avais vue si gaie et de plus franche humeur ; tu paraissais si légère, que tu aurais pu marcher sur une mouche sans l’écraser. Pour que ce bel entrain-là soit parti, la vieille t’aura fait quelque grosse misère que tu ne veux pas me dire pour que je ne me mette pas en colère après elle ; mais, ajouta-t-il en faisant mine de sortir, attends un peu, je vais aller la remuer, moi.

— Mais je t’assure que non, reprit Adeline très agitée en retenant son père, et si tu veux me rendre bien contente comme je l’étais ce