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mal, c’était vouloir, par cette confession, lui faire sentir plus amèrement l’infériorité de sa condition. Enfin, comme le peintre Lazare le lui avait dit un jour assez brutalement, la Madelon abusait de ses cheveux gris.

Cette lutte entre le bon et le mauvais sentiment se termina malheureusement sous l’influence de ce dernier.

Madelon fit la brave ; elle recommença plus aigrement la discussion et employa ce terrible système mis en œuvre par les gens qui sont dans leur tort, et qui consiste à discuter à côté de la question qui est l’objet de la querelle, de telle façon que tout accord devient impossible, et que les natures les plus patientes, aiguillonnées sans cesse par toute sorte de propos irritables, n’ont d’autre porte de sortie que la colère.

Ce fut enfin ce qui arriva pour Adeline. Cette franche et loyale nature s’indigna de voir qu’elle était si mal comprise. Ses instincts de justice se révoltèrent en s’apercevant que l’excès de sa bienveillance se tournait contre elle-même. Blanche, tremblante et comme étonnée de se sentir en elle cette puissance d’indignation, elle ne daigna plus même répondre à sa servante ; et profitant d’un moment où la Madelon épuisée par son emportement restait silencieuse, Adeline lui ordonna brièvement de se préparer à quitter la maison.

— C’est bon, dit la Madelon, qui ne paraissait point s’attendre à celle-là ; on reparlera de ça ; nous avons le temps ; tantôt, demain ou un autre jour, n’est-ce pas, mam’zelle ?

— Il ne s’agit-pas de tantôt ni de demain, c’est tout de suite que vous allez partir, dit Adeline.

— Faut d’abord voir ce que pensera monsieur votre père de ce déménagement, reprit la Madelon en redoublant d’impertinence.

— Mon père n’a pas d’autre volonté que la mienne, fit Adeline, vous le savez bien.

— Ce n’est pas ce qu’il y a de mieux dans la maison, répliqua la servante.

— Que ce soit bien ou mal, cela est ainsi, personne n’a rien à y voir, et vous moins que personne.

— Ce que vous m’empêchez de dire, vous n’empêcherez point les autres de le penser, mam’zelle.

— L’opinion des autres nous est indifférente, à mon père comme à moi ; nous sommes au-dessus de tout le monde.

— Ah ! fit la Madelon avec un méchant sourire, on sait que vous êtes fière, mam’zelle, et vous n’êtes pas fâchée de rencontrer des occasions comme celle-ci pour laisser échapper des bouffées d’orgueil, sans ça on vous trouverait étouffée un matin dans votre lit à beaux rideaux… M’n enfant, — continua la vieille en redoublant d’ironie,