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dez cela, je vous demanderai en outre de ne plus vous occuper de lui et de le laisser complètement livré à mon influence.

— Je ne suis pas curieux, fit Protat, mais je voudrais bien savoir comment vous comptez vous y prendre. Songez donc, monsieur Lazare, que moi, à qui il devrait obéir comme à un maître, sinon comme à un père, il m’est impossible d’en faire rien qui vaille.

— C’est peut-être précisément le sentiment de cette autorité que vous le voulez forcer à reconnaître, qui éveille en lui le sentiment de la résistance. Peut-être possède-t-il des instincts qui ne peuvent trouver leur application dans l’existence qu’il mène. C’est tout cela que j’aurai à débrouiller. Comment je m’y prendrai ? Autrement que vous, cela est sûr ; — n’étant pour lui qu’un étranger, il se trouvera plus libre en face de moi. — Pour gagner sa confiance, je me ferai, s’il le faut, son camarade. Enfin, soyez tranquille, j’ai mon plan.

— Tenez, dit le sabotier, vous êtes véritablement trop bon de vous intéresser à ce vaurien-là.

— Ma bonté !… fit l’artiste en souriant. Mon Dieu ! père Protat, ne me faites pas meilleur que je ne suis. Dans l’intérêt que je porte à votre apprenti, ma bonté est beaucoup moins en jeu que ma curiosité. Ce garçon m’intrigue : c’est une espèce de rébus que je veux deviner. Dame, à la campagne, quand il fait mauvais temps, que l’on ne sait que faire, on s’ennuie. Les distractions ne sont pas communes ici. Je m’amuserai à déchiffrer le problématique Zéphyr. Autant vaudra cette occupation que d’aller jouer au piquet à la Maison-Blanche.

— Faites à votre désir, monsieur Lazare, conclut le sabotier ; mais ne parlons plus de Zéphyr, ça m’obligera.

— C’est entendu, répondit l’artiste. Nous ne reparlerons de lui que lorsque nous aurons du bien à en dire. Espérons seulement que cela ne tardera pas.

Comme la conversation s’achevait, Adeline parut, apportant le café.

Lazare, qui était particulièrement un fin gourmet à propos de cette liqueur, durant son précédent séjour dans la maison du sabotier s’était plaint plusieurs fois de la manière dont la mère Madelon préparait le café. En effet, la bonne femme s’obstinait à employer le procédé élémentaire, qui consiste à faire bouillir en même temps marc et café dans un vase de terre et à précipiter ensuite dans le breuvage une braise ardente pour obtenir la clarification. Comme toutes les vieilles gens que le progrès épouvante, sous quelque forme qu’il se manifeste, la mère Madelon, même dans les plus petites choses, avait l’amour des anciennes coutumes. Aussi s’était-elle toujours refusée, tantôt sous un prétexte et tantôt sous un autre, à adopter l’invention que lui avait signalée Lazare ; mais le matin même,