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REVUE DES DEUX MONDES.

Un matin du mois de novembre, Cécile ramena Adeline chez son père, accompagnée de ses parens. M. de Bellerie, qui se portait candidat aux futures élections du département, voulant se rendre populaire, accepta sans façon la respectueuse invitation à dîner que le sabotier lui fit transmettre par sa fille. Le curé de Montigny fut également invité. Une heure après, tout le village était instruit du retour d’Adeline, et on savait que le sabotier traitait un marquis. Ce fut pour la soirée un texte à glose dans toutes les veillées, qui commençaient précisément ce jour-là.

Le surlendemain, un fourgon amenait de Paris à Montigny tout le mobilier de la chambre qu’Adeline avait occupée à l’hôtel de Bellerie. En ouvrant l’un des tiroirs de sa commode, elle y trouva dix mille francs en billets de banque renfermés dans un petit portefeuille brodé par Cécile. Le portefeuille contenait en outre ces quelques mots :


« Ce sont mes économies de jeune fille ; prends-les sans compter, comme je te les donne. Cette goutte d’eau de moins dans ma fortune n’y fera pas le vide que ton absence laissera dans mon cœur. Un remerciement serait presque une offense, pense à ce que serait un refus. Il me ferait croire que je ne suis déjà plus pour toi ce que je veux rester toujours, de loin comme de près, ta sœur, Cécile. »


Adeline consulta néanmoins son père, pour savoir si elle devait accepter une si grosse somme. Protat se trouva embarrassé d’être pris pour juge dans une cause où il se considérait un peu comme partie, et où nécessairement son jugement se trouvait fait d’avance. Il feignit de partager l’hésitation de sa fille, il trouva des pour et des contre, et au milieu de cette apparence de discussion ingénieuse il sut finalement amener Adeline à une acceptation, en insistant surtout sur le chagrin qu’un refus pourrait causer à la donatrice. « Si elle t’avait mis ça dans la main comme une aumône, il aurait fallu voir, dit-il : mais c’est offert si gentiment qu’il n’y a pas moyen de refuser. D’ailleurs nous ne sommes pas assez pauvres pour nous montrer orgueilleux. Faute de cet argent-là, tu n’aurais pas coiffé sainte Catherine ; mais quand tu te marieras, mon gendre ne sera pas fâché de trouver ces chiffons-là dans ta corbeille de noces, et de plus ils te permettront de te montrer difficile. »

Le retour de la jeune fille dans la maison paternelle y fut l’objet d’un bouleversement général. Protat voulut qu’elle habitât la plus belle chambre, et, ne la trouvant pas assez belle, il fit venir le meilleur tapissier de Nemours, pour que cette pièce fût ornée de façon à ne pas jurer avec le joli mobilier qui devait la garnir. Adeline laissa faire son père en tout ce qui concernait l’embellissement de son intérieur ; mais, au grand étonnement du bonhomme, elle ne voulut pas