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ADELINE PROTAT.

cet endroit-là, elle avait sans doute un bien mauvais dessein, car depuis huit jours tout le monde sait que les loups courent la forêt.

Comme nos lecteurs l’ont déjà deviné sans doute, cet enfant abandonné était le petit apprenti Zéphyr, que l’on a vu dans le premier chapitre de ce récit, et que l’on retrouvera prochainement.

Environ quinze mois après le départ de la petite Adeline, la veille du jour de l’an, le sabotier reçut une lettre de Provence. Elle était de la marquise, et en renfermait une autre dont l’écriture irrégulière, mais cependant lisible, ressemblait à celle des enfans qui commencent à écrire. Cette lettre, qui ne contenait que quelques lignes, était signée Adeline Protat. C’était en effet Adeline qui adressait à son père un compliment de jour de l’an que lui avait dicté Mme de Bellerie. Cette épître enfantine finissait par ces mots : « Tu verras, mon cher papa, comme je suis devenue belle, et je ne tousse plus du tout. » Le sabotier courut montrer la lettre de sa fille à toutes ses connaissances. Il l’aurait volontiers affichée à la porte de la mairie pour que tout le monde pût la voir. Ayant rencontré le garde champêtre du pays qui venait battre un ban sur la place, Protat l’interrompit dans l’exercice de ses fonctions pour lui montrer la lettre d’Adeline.

— Gageons que c’est aussi bien écrit que vos procès-verbaux, père Talot, lui dit le sabotier rouge d’orgueil.

— Pardi oui, ma foi ! Et c’est la petiote qui n’avait plus que le souffle qui est déjà si instruite ! — Elle ne doit pas être loin d’être guérie pour lors. — C’est que l’orthographe y est presque, ajouta le bonhomme d’un air capable.

Protat le quitta pour aller montrer la lettre au notaire, qui sortait de son étude.

Huit mois après, Adeline était de retour après une absence de plus de deux ans. Protat ne la reconnut pas, tant elle était changée. Cette chétive créature, qui semblait ne pas tenir à la vie plus que ne tient à la branche une feuille tourmentée par le vent, était devenue une belle enfant, non point d’épaisse et robuste carrure comme l’aurait souhaité son père, mais distinguée à ne plus reconnaître sa race. Un mot peindra l’impression qu’elle causa au bonhomme.

— J’ai presque envie de l’appeler mademoiselle, disait-il à la marquise.

— Je vous la ramène, lui dit celle-ci, mais je ne vous la rends pas.

Par mille raisons que sut trouver la marquise et dont quelques-unes flattaient la vanité du sabotier, elle lui persuada de lui laisser Adeline, à qui elle voulait faire partager l’éducation que recevrait sa fille Cécile.

— Que fera-t-elle de tant de savoir ? demanda le sabotier.