Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/805

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fait des paris contre l’invasion française en véritable incrédule, et il trouve qui lui répond. Les Lettres franques ont pu lui faire croire un moment qu’il était bien près de perdre sa gageure : il n’en est rien pourtant, et M. Cobden est encore en possession de ses 10,000 livres sterling. Sérieusement, il est assez curieux d’observer tout ce tapage d’imaginations échauffées qui se mettent en une aussi flagrante contradiction avec les besoins, les instincts, les intérêts des peuples, avec leurs goûts même, qui ne sont point du tout aux collisions, aux luttes guerrières et aux conquêtes par les armes. Nous sommes un peu de l’avis de M. Jottrand, qui disait l’autre jour à peu près : Que chacun reste chez soi, et que cela finisse ! Très certainement les gouvernemens ne s’associent pas à tout ce bruit de plume ; autrement qu’en faudrait-il penser ? et que faudrait-il croire de ce colosse britannique pour aller s’émouvoir, — de quoi ? D’une assez pauvre littérature à qui il a pris fantaisie d’éclore un jour d’hiver où la moisson littéraire n’était guère abondante.

Ce qu’il y a de plus triste en effet, c’est que les Lettres franques ne sont point du tout un pamphlet amusant, ce qui est cependant une condition indispensable pour un livre qui se passe si bien de tout le reste. Heureusement, à l’autre bout de l’horizon littéraire il se préparait une de ces fêtes où le monde accourt pour voir comment un vif esprit se jouera avec l’impossible. Une femme d’imagination entreprenait de changer le sexe de Tartufe et de jeter sur la scène cet étrange personnage ainsi transformé et transplanté dans notre monde contemporain, dans nos mœurs, dans le capricieux mouvement de la vie élégante. Oui, Tartufe en robe de satin et en coiffure de dentelles, Tartufe dame de charité et patronesse, ayant ses pauvres et faisant des uniformes pour les singes des petits Savoyards, par amour de l’humanité, — Tartufe ayant une variété d’histoires galantes dans son passé et dans son présent, excellant à s’introduire dans les familles, à lancer la calomnie sur un ton mielleux, à compromettre les jeunes filles, à monter l’esprit d’un vieux maréchal pour l’épouser ! telle est la pensée de la comédie nouvelle qui s’appelle Lady Tartufe. Faire pour le sexe féminin, sans déguiser nullement cette prétention, ce que Molière a fait pour notre sexe, certes ce n’était point une entreprise vulgaire. Le malheur est que dans une œuvre de ce genre il faut plus que de l’imagination et de l’esprit ; il faut une rare puissance d’observation, l’art de saisir la réalité, de communiquer la vie, d’animer les personnages, de représenter les caractères dans leurs nuances et dans leur profondeur ; il faut cet instinct dramatique qui fait d’une œuvre de l’esprit l’image fidèle de la vie humaine. « Comme je suis mal coiffée ! » dit pour son premier mot lady Tartufe en se regardant dans une glace. N’est-ce point tout à fait ainsi que doit commencer la comédie d’une femme ? Et à bien d’autres traits encore on peut reconnaître une main féminine, ne fût-ce qu’à tout ce que l’auteur dit de spirituellement brutal sur son sexe. Quel homme en eût pu dire autant ? quel homme eût osé mettre cette hardiesse ou cette crudité dans certains détails !

Maintenant le succès a-t-il couronné cette bizarre et hardie tentative ? C’est ici véritablement une autre question. Par quoi Lady Tartufe aurait-elle donc réussi ? Est-ce par l’action ? Mais l’action est souvent lente, traînante, monotone.