Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/80

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

loyauté de son caractère, la cordialité de ses manières, la générosité avec laquelle il ouvrait sa bourse aux gens de lettres et aux malheureux, lui avaient acquis une légitime popularité parmi les écrivains. On le savait homme d’honneur, d’une discrétion à toute épreuve; il fut le dépositaire de bien des secrets, et, comme il obligeait avec délicatesse, le confident de bien des infortunes. Il était toujours en quête des gens de talent, et, outre les hommes distingués que nous avons déjà nommés, on doit citer encore, parmi ses collaborateurs, lord Campbell, qui occupe aujourd’hui une des fonctions les plus élevées de la magistrature; le poète Campbell, le spirituel et incisif Hazlitt, et enfin Dickens. Ce dernier a débuté par travailler au True Sun, concurrence suscitée au journal actuel le Sun lors de son apparition; il passa ensuite au Chronicle, dont il devint un des plus habiles sténographes, et, s’élevant encore par degrés, il écrivit pour ce journal, sous le pseudonyme de Boz, les premières esquisses qui ont fait sa réputation.

Au moment où Perry relevait le Morning Chronicle, le Morning Post, qui datait de 1772 et qui avait eu quelques aimées d’une grande prospérité, était tombé dans une complète décadence. Ce journal ne subsistait plus que grâce aux annonces des voitures et des chevaux à vendre, dont il avait et dont il a conservé jusqu’à nos jours le monopole presque exclusif. C’est alors, en 1795, qu’il fut acheté, pour un peu plus de 1,500 francs, par un Écossais du nom de Daniel Stuart. Celui-ci appartenait à une famille de journalistes. Son frère aîné, Pierre Stuart, était depuis longtemps dans la presse : c’est lui qui, lors de la nouvelle organisation des malles-postes par Palmer, profita des facilités nouvelles de communications ainsi créées pour fonder le Star, le premier journal quotidien du soir qu’on ait eu à Londres. Comme le Post ne vendait alors que trois cent cinquante exemplaires par jour, Stuart y joignit la propriété d’un autre journal, l’Oracle, acheté pour 2,000 francs.

Daniel Stuart s’occupa d’abord de recruter des rédacteurs de mérite, et ne recula devant aucun sacrifice pour s’assurer le concours de gens de talent. Il demandait à ses collaborateurs de l’application et de l’exactitude, mais il rémunérait libéralement leurs services, et de temps en temps il augmentait de lui-même leurs appointemens. Par son activité, son application aux affaires et l’intelligente direction qu’il donna à son journal, il ne tarda point à lui rendre son ancienne prospérité, et avec les lecteurs revinrent les annonces. Stuart avait sur les annonces une théorie particulière. Il donnait de préférence la première page de son journal aux courtes annonces, et il les encourageait de tout son pouvoir, d’après ce principe que plus les pratiques sont nombreuses, plus on est indépendant de sa clientèle, et plus celle-ci est durable. En outre, plus les annonces sont nombreuses et variées, plus aussi est nombreux et varié le cercle des gens qu’elles intéressent, et qui cherchent dans le journal les emplois vacans, les offres de service, les mises en vente, les marchés à conclure. « Les annonces, disait-il, ont leur action directe et leur contre-coup : elles attirent le lecteur et augmentent la circulation du journal, et la grande publicité appelle à son tour et retient les annonces. »

Perry se réglait sur un principe opposé. Il voulait faire de son journal une feuille essentiellement littéraire, et il visait à lui assurer le monopole des annonces de librairie. Aussi il accumulait dans sa première page les annonces