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ADELINE PROTAT.

passée, ni l’autre nuit, ni celle d’avant, répondit Zéphyr en traînant la voix.

Il y avait dans ces simples paroles un accent d’affliction si pénétré, que Lazare ne put s’empêcher d’examiner le jeune paysan avec plus d’attention. Celui-ci, s’étant aperçu de l’examen dont il était l’objet, avait baissé les yeux comme s’il eût craint que ses regards ne révélassent les pensées qui semblaient agiter son esprit, — et, comme s’il eût voulu éviter de nouvelles interrogations auxquelles il ne souhaitait pas répondre, il essaya de retarder sa marche et de mettre entre ses pas et ceux du jeune homme la distance qui les avait séparés pendant la première partie du chemin ; mais Lazare, que l’attitude dolente de son compagnon commençait à étonner et même à intriguer, le rappela auprès de lui et le força à régler son pas sur le sien. Quoi qu’il pût faire cependant, et si habilement qu’il s’y prît, il ne put rien apprendre ni même rien deviner du secret qui causait la tristesse de Zéphyr. Celui-ci s’obstinait dans son silence, et, si la politesse l’obligeait quelquefois à le rompre quand Lazare le pressait trop vivement, il ne répondait que par d’insignifiantes paroles auxquelles la plus ingénieuse subtilité n’aurait pu faire dire que ce qu’elles disaient réellement, — oui ou non. Durant cette petite lutte entre la curiosité de Lazare et la discrétion de Zéphyr, on était arrivé au village de Montigny. Tous les habitans étant occupés aux champs, le peintre traversa d’un bout à l’autre la grande rue sans rencontrer aucune figure de connaissance, sinon quelques petits enfans que sa grande barbe avait d’abord effrayés les années précédentes, mais que Lazare avait su apprivoiser en leur achetant des joujoux le jour de la fête du pays. En reconnaissant leur bon ami le désigneux (c’est le nom qu’on donne aux artistes dans le pays), les bambins l’entourèrent en poussant des cris joyeux et ne le laissèrent continuer sa route que lorsqu’il les eut embrassés les uns après les autres.

— Enfin nous voilà arrivés, dit Lazare en entendant le bruit prochain causé par le barrage établi en amont du moulin de Montigny. Allons, Zéphyr, un peu de courage, mon garçon ; nous allons nous débarrasser de nos fardeaux et boire un bon coup de vin frais sous la tonnelle du père Protat.

Mais en parlant ainsi Lazare s’aperçut que le jeune paysan était disparu ; seulement, avant de s’enfuir, il avait eu la précaution de déposer sur un banc de la rue la boîte à peindre et le parasol de l’artiste.

— Que diable est-ce qui prend à ce petit drôle ? murmura celui-ci en retournant sur ses pas pour aller chercher les objets abandonnés par Zéphyr. Est-ce qu’il est devenu fou ? L’an dernier il n’était qu’imbécile.