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intérêts mercantiles ou industriels. Le but de leurs fondateurs n’est plus uniquement de mettre sous les yeux des lecteurs l’apologie constante de certains hommes ou de certaines opinions, il est encore de procurer au commerce et à quiconque en a besoin les avantages de la publicité ; la presse n’est plus considérée seulement comme un instrument politique, mais comme un intermédiaire infatigable et fidèle entre tous les intérêts. Les journaux ne se bornent pas à faire une place chaque jour plus considérable aux annonces ; ils n’épargnent rien pour conquérir, en fait d’annonces, une clientèle spéciale qui leur assure d’un côté un revenu constant, et de l’autre des lecteurs assidus.

C’est aux derniers jours du XVIIIe siècle que nous avons marqué le commencement de cette troisième période : c’est à cette date, en. effet, que se place la naissance ou la transformation des journaux politiques qui existent actuellement en Angleterre[1], et dont nous essaierons de faire connaître l’histoire intérieure et l’organisation. On verra qu’aucun de ces journaux n’a été fondé sous l’influence et avec le concours d’un homme politique, que ce sont de pures spéculations privées. Tous, dès le début ou bientôt après, prennent le caractère de feuilles d’annonces, qui joignent aux nouvelles du jour un commentaire politique, mais qui se préoccupent surtout de recueillir le genre de renseignemens que le public recherche le plus; on peut même citer des exemples de journaux créés uniquement en vue d’une catégorie d’annonces. Ainsi les libraires de Londres, mécontens de voir leurs annonces exclues de la première page, reléguées à la dernière et souvent retardées de plusieurs jours, fondèrent à la fois une feuille du matin, la British Press, et une feuille du soir, le Globe, qui existe encore, pour faire paraître leurs annonces quand et comment il leur plairait. Ainsi encore, les restaurateurs et les taverniers de Londres, s’étant avisés qu’ils contribuaient puissamment à la fortune des journaux par leurs annonces, et surtout par les exemplaires qu’ils achetaient pour l’usage de leurs consommateurs, se réunirent pour fonder un journal qui aurait seul entrée dans leurs établissemens, et ils affectèrent les bénéfices de l’entreprise a l’association de secours mutuels créée entre eux. Ce journal existe encore dans les mêmes conditions ; c’est le Morning Advertiser. Dès 1802, chaque journal avait sa spécialité en fait d’annonces : pour le Morning Post c’étaient les chevaux et les voitures; pour le Public Ledger, les armemens maritimes et les ventes en gros de marchandises étrangères ; le Morning Herald et le Times se partageaient les adjudications d’immeubles; le Morning Chronicle avait la pratique des éditeurs. Cette répartition des annonces n’a presque pas changé. On ne peut ouvrir le Times sans y trouver trois ou quatre colonnes au moins de ventes immobilières, et le Public Ledger ne doit de subsister encore qu’à l’habitude contractée par le commerce de chercher dans ses colonnes les annonces et les nouvelles maritimes.

Grâce à cette prédominance de l’élément mercantile sur l’élément politique, on pourrait presque dire que la presse anglaise est revenue aujourd’hui à son point de départ. Les journaux de Londres, en effet, sont par-dessus tout des boutiques à nouvelles, si l’on veut nous permettre cette expression familière.

  1. Le Public Ledger date de 1760, le Chronicle de 1769, le Post de 1772, le Times de 1788, l’Advertiser de 1793.