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métal et au contraire la grande quantité de marteaux de pierre trouvés çà et là, enfin la présence au-dessus de la masse de cuivre d’un arbre dont les racines la recouvraient entièrement, et qui, d’après le nombre des anneaux concentriques de son tronc, ne pouvait avoir moins de deux cent quatre-vingt-dix ans, — ce qui prouve que les travaux étaient déjà abandonnés à une époque bien antérieure aux premiers établissemens européens près du Lac Supérieur.

Ces traces d’une agriculture étendue, ces exploitations de mines qui surpassent si fort ce que peuvent exécuter les peuples sauvages tels qu’on les a trouvés dans les forêts de l’Amérique, rapprochées des grands travaux de défense et des objets travaillés avec un certain art recueillis dans les tertres qui avoisinent ces travaux, n’indiquent-elles pas l’existence d’une population plus nombreuse et moins barbare ? Cette race entièrement détruite n’offre-t-elle pas un mystère historique d’un intérêt extraordinaire ? Enfin n’aurait-elle point communiqué aux tribus errantes qui lui ont survécu, peut-être après l’avoir anéantie, quelques idées de religion pure et de morale assez haute qui contrastent bizarrement avec leurs sentimens féroces et leurs superstitions grossières, comme elle a laissé dans leurs déserts des vestiges d’une société plus avancée et d’un art moins imparfait ? Tout cela vaut la peine qu’on s’en occupe, et bien que ma course à Chilicothe eût surtout pour but de visiter la collection d’antiquités américaines rassemblées par M. Davies et que je ne verrai qu’à New-York, je ne regarderais pas ma fatigue comme perdue, si j’inspirais la pensée d’une exploration facile, peu coûteuse, dont les résultats seraient à peu près certains, et qui pourrait achever de faire entrer un élément entièrement nouveau dans l’histoire du genre humain.

Tout en m’occupant des générations ignorées qui ont élevé les curieux monumens de Chilicothe, je découvre ce qu’il y a encore d’arriéré dans une petite ville de l’ouest, comme j’ai appris à connaître dans la maison du beau-père de M. Davies ce qui s’y rencontre aussi de politesse et de prévenance. On m’assure que le gros des habitans n’a aucun respect pour le savoir. Ils ne peuvent se figurer qu’un médecin quitte l’Europe, s’il a quelque valeur ; ils sont souvent dupes d’un charlatan qui a l’avantage d’être américain. On m’a montré une maison neuve en me disant : C’est la propriété d’un peintre en bâtimens qui s’est avisé de devenir médecin et qui a fait fortune.

Un des plus grands intérêts d’un voyage aux États-Unis, c’est le spectacle des destinées et des caractères que les circonstances ont jetés sur cette terre ouverte à tous les genres d’entreprises. M. Rominger, qui a bien voulu me servir de guide, était venu en Amérique pour y faire des études géologiques ; mais il a été amené à ajourner ses plans et à en préparer l’exécution en se livrant pendant quelques