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comme dans les grandes. Le principe de la politique et de la société aux États-Unis, c’est que chacun se tire d’affaire comme il l’entend. On lui laisse entière liberté d’action en ce qui ne choque pas les opinions ou les passions de la majorité ; mais cette liberté d’action de l’individu lui est accordée à ses risques et périls. On ne le dirige point, on ne l’avertit point. C’est à lui de s’informer d’où part le chemin de fer, c’est à lui de prendre garde si on ne lui lance point une caisse à travers les jambes. Tout se résout dans le mot sacramentel : Aidez-vous vous-même (help one self), qu’on traduit quelquefois ainsi : « Dieu pour tous, en avant, et que le diable emporte le dernier ! »

Si ces pages tombaient sous les yeux des Américains, je ne serais pas fâché de leur faire un peu honte de leur incurie en tout ce qui se rapporte au comfort des voyageurs. Je n’ai trouvé, au moins parmi les gens à qui j’ai eu affaire, nulle trace de cette grossièreté de mœurs qu’on leur a tant reprochée : je ne l’ai rencontrée que chez les inférieurs ; mais ce que j’ai trouvé partout, c’est une absence d’indications, d’avertissemens, de direction pour les voyageurs, qui est extrêmement incommode. Je voudrais inspirer aux Américains le désir de réformer cet abus du self-government, qui n’en est point une conséquence nécessaire. Je ne les crois point incorrigibles ; ils ont profité des diatribes les plus violentes et souvent les plus injustes. Mme Trollope, à qui, dit-on, une situation qui n’était point égale à son esprit et à son caractère n’aurait pas ouvert précisément les meilleures maisons, a fait sur l’Amérique un livre outrageant, qui a charmé en Europe les vanités aristocratiques au service desquelles elle se trouvait assez singulièrement enrôlée[1]. Eh bien ! les Américains ont eu le bon esprit de tirer parti de ces injures, auxquelles se mêlaient quelques vérités. Quand un homme, au théâtre, plaçait ses pieds à la hauteur de sa tête, on lui criait en riant : Trollope ! Trollope ! et cette mode peu aimable a passé. Je suis convaincu que les manières américaines se sont beaucoup améliorées depuis quelques années, car tout ne pouvait pas être faux dans ces tableaux grotesques, dont je n’ai retrouvé presque aucun trait au sein des mœurs actuelles ; mais il reste à prendre quelques mesures de prévenance et de soin pour les voyageurs, mesures qu’ils ont le droit d’attendre de toutes les nations civilisées, et qu’ils ne rencontrent presque jamais aux États-Unis.

  1. Je serais désolé de manquer de respect à Mme Trollope, qui est une femme respectable ; mais il est certain qu’elle était venue à Cincinnati établir un bazar de modes qui ne réussit point, et qu’elle ne vit presque personne. C’est ce que dit tout le monde en Amérique, et ce que confirme le capitaine Marryat lui-même, très peu favorable aux États-Unis.