Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/738

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le service de la compagnie Cunard, celle-ci résiste, en affirmant que cette mesure livrerait à la compagnie américaine, dont le siège serait maintenu à Liverpool, tous les bénéfices du trafic.

Il semble donc qu’à beaucoup d’égards Le Havre devrait l’emporter sur Cherbourg. On objecte pourtant que ce choix rencontrerait, dans la pratique, des obstacles insurmontables : on dit que l’entrée et le fond du port du Havre ne sont pas en état de recevoir des navires ayant la largeur et le tirant d’eau que comportent les paquebots ; mais cette assertion n’est pas concluante. Lors même que l’on désignerait Cherbourg, il faudrait exécuter dans ce port des travaux considérables pour organiser le service des steamers transatlantiques, qui ne pourraient sans inconvénient être placés dans le même bassin que les navires de guerre. Il s’agit donc de savoir, en premier lieu, si la nature s’oppose absolument à l’élargissement de l’entrée du Havre, au creusement de nouveaux bassins assez profonds et assez vastes pour donner accès aux paquebots, et il est difficile de croire qu’il en soit ainsi ; en second lieu, si les dépenses à faire pour mettre le port en état sont tellement considérables, qu’il faille de prime abord y renoncer. Posée en ces termes, la question rentre complètement dans la compétence des ingénieurs, dont la décision sera souveraine. S’il était constaté qu’à l’aide de quelques sacrifices d’argent on pourrait compléter les avantages déjà si grands que Le Havre doit à sa situation naturelle, aux habitudes prises, aux échanges établis par son intermédiaire entre l’Amérique et une portion de l’Europe, est-il besoin de démontrer combien il serait important pour la France d’introduire la navigation à vapeur à côté de ces nombreux bassins où se dressent les mâts de tant de navires venus de tous les points du monde ? Le Havre deviendrait alors la première place commerciale du continent. Son entrepôt de douanes, depuis longtemps insuffisant, a été, il y a quelques années, doublé d’une succursale : aujourd’hui les magasins sont encore trop étroits, et l’on songe à construire un dock. Pourquoi ce dock ne serait-il pas établi de manière à répondre aux exigences d’un service de paquebots ? Cette combinaison ne semble-t-elle pas naturellement indiquée par les intérêts du commerce, et, avec le patronage de l’état, n’offre-t-elle point de grandes chances de succès à la compagnie qui voudrait la tenter ?

En concentrant dans la Manche, dans un même port, tous les services transatlantiques, on excitera d’ardentes jalousies et de vives rancunes ; on provoquera sur les rives de la Méditerranée et de l’Atlantique de violentes colères : il faut s’y attendre. Excusées par les illusions de l’intérêt local, ces plaintes seront vite étouffées sous l’éclatante manifestation des intérêts généraux, et l’on n’aura plus qu’à se féliciter d’avoir opposé une ferme résistance aux entraînemens d’une popularité stérile. Si depuis 1840 la plupart des projets relatifs aux paquebots transatlantiques ont échoué misérablement, c’est surtout à la division des lignes que doivent être attribués tous les échecs. Le moment est venu d’éviter la faute tant de fois commise et d’échapper par l’adoption d’un autre système à d’inévitables déceptions. Du reste, le principe d’unité et de concentration ne s’oppose point à ce que dans l’avenir ou même dans le présent l’état encourage l’établissement de services supplémentaires dont l’utilité serait démontrée. Marseille, par exemple, entretient avec