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manie réglementaire qui, s’appliquant aux moindres détails, devait écarter les offres des compagnies. Pour ne citer qu’un exemple, la commission limitait le poids des marchandises que les paquebots auraient été autorisés à transporter, et, dominée par l’intention très-louable de ménager les intérêts de la marine à voiles, qui s’effrayait de la concurrence des navires à vapeur[1], elle semblait avoir pris à tâche d’éloigner les spéculations qu’elle avait précisément en vue d’encourager.

Les études de 1845 demeurèrent à l’état de rapport. La question ne se représenta qu’en 1847, sous la forme de deux projets de loi déposés le 17 février. Le premier projet avait pour but de sanctionner un marché passé entre le gouvernement et la compagnie Hérout et de Handel pour l’exploitation de la ligne du Havre à New-York : le gouvernement livrait à la compagnie, pour un délai de dix ans, 4 bateaux à vapeur de 450 chevaux, construits en vertu de la loi de 1840 ; ce prêt devait tenir lieu de subvention. La compagnie, de son côté, s’engageait à accomplir gratuitement le service postal. Cette proposition fut adoptée par les chambres et mise immédiatement en vigueur. — Le second projet de loi reproduisait à peu près les dispositions préparées par la commission parlementaire de 1845. Dans un rapport très développé, M. Ducos soutint les conclusions suivantes : le gouvernement devait procéder, par abjudication, à la concession pour dix ans au plus de trois lignes principales : 1° Saint-Nazaire à Rio-Janeiro ; 2° Bordeaux à la Havane avec prolongement sur la Nouvelle-Orléans ; 3° Marseille à la Martinique et à la Guadeloupe. Ces trois lignes pouvaient être remises aux mains d’une seule et même compagnie ; le maximum de la subvention annuelle de l’état se trouvait limité à 5 millions de francs pour l’ensemble des services ; dans le cas où l’adjudication ne serait pas valable, le ministre des finances était autorisé à accorder des concessions à l’amiable en se renfermant dans la limite des crédits ouverts. Indépendamment des trois lignes principales, la commission de 1847 proposait de créer, par voie de concessions directes, quatre services secondaires aboutissant à la Plata, aux Antilles espagnoles et à Haïti, à la Côte-Ferme et au Mexique. — Ce projet de loi fut adopté par la chambre des députés, mais il n’eut pas d’autres suites. — La compagnie qui avait entrepris le service de New-York ne put, de son côté, remplir ses engagemens. Est-il besoin de rappeler l’échec complet qu’elle éprouva ?

En résumé, la révolution de 1848 trouva dans les archives parlementaires quatre projets de loi et autant de rapports relatifs aux communications transatlantiques ; mais la France n’avait pas, sur l’Océan, un seul paquebot ! Ses correspondances, ses marchandises, ses passagers en étaient réduits à demander asile aux steamers anglais ou américains !

On ne saurait se défendre d’un certain découragement, lorsqu’au début d’une étude aussi difficile et aussi complexe, on ne découvre en quelque sorte dans le dossier de l’affaire que des plans inexécutables et des projets avortés. Comment ! depuis 1840, le gouvernement et les chambres, les hommes les plus distingués dans l’administration, dans la politique, dans l’industrie, se

  1. Cette crainte n’était point fondée. L’un des premiers armateurs de l’Angleterre, M. Lindsay, a récemment déclaré à Southampton que la navigation à voiles avait tout à gagner au développement de la marine à vapeur, et il ajoutait, à l’appui de ses paroles, que pendant l’année 1852 le taux du fret avait éprouvé une hausse de 100 pour 100.