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jouissait. Du temps où le prince était ambassadeur à Naples, cette sœur se rendit, à diverses reprises, de Vienne à Rome, où celui-ci arrivait de son côté pour la rencontrer et la faire en quelque sorte revivre au contact de cette vie nerveuse dont il possédait les mystérieux trésors.

Quand le prince Schwarzenberg mourut, il touchait au plus haut point de sa fortune politique, il avait reconquis l’Italie à la couronne d’Autriche, écrasé la révolution, humilié la Prusse, affermi partout la souveraineté de son jeune maître. Sortir à temps de ce monde qui n’avait cessé de lui prodiguer toutes ses fêtes, ce ne fut peut-être pas le moindre signe par où se laissa voir l’heureux arrangement de sa destinée. Sis Félix Schwarzenberg ! disaient ses camarades au camp de Radetzky, en jouant sur son nom. Heureux en effet, car la mort, qu’il bravait insolemment, semblait prendre à tâche de l’épargner ! À Goïto, tandis que la mousqueterie et la mitraille dévastaient les rangs, il fouettait sa botte du bout de son épée, non moins dédaigneux vis-à-vis des balles et des boulets, non moins altier en sa contenance qu’il ne le fut plus tard dans son cabinet de premier ministre. Le bonhomme Radetzky l’appelait spirituellement son feld-diplomate, et, chaque fois qu’une négociation se présentait, l’en chargeait. L’Autriche offrait alors le spectacle inouï d’un état dont la puissance au dehors se relève et se régénère, lorsqu’à l’intérieur tous les élémens de force et de vitalité périclitent et se détraquent. À Vienne florissait un de ces ministères à la Necker, fléaux des monarchies, et qu’on retrouve malheureusement au début de toutes les crises sociales, un de ces pouvoirs néfastes qui, trop ambitieux pour abdiquer, trop faibles pour résister au flot envahissant, trahissent un peu tout le monde et finissent par devenir la proie de l’émeute après avoir été quelque temps son jouet. Kossuth et Mazzini avaient leurs agens alors à Vienne comme à Turin[1].

On voit à quelles difficultés avait affaire cette armée d’Italie. Vaincre au jour le jour tant d’ennemis coalisés, c’était pour elle la moindre chose ; il lui fallait en outre tenir tête au mauvais vouloir de son gouvernement, que possédait l’esprit de Mazzini. À ces soldats dont le sang coulait sur tous les champs de bataille, la patrie, représentée à Vienne par les hommes de Kremsier, marchandait les vêtemens et le pain. Eux pourtant, sans se laisser décourager, continuaient stoïquement leur marche. Affamés, meurtris, déguenillés, ils répondaient par des victoires à l’indifférence et aux insultes de la métropole. Ils envoyaient à Vienne les drapeaux pris à Sainte-

  1. Au quartier-général de Charles-Albert se trouvait, par exemple, un certain baron Spleni, ancien officier au service d’Autriche, et qui jouait le rôle d’intermédiaire entre le roi et Kossuth.