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un des personnages qui prirent la plus vive part à cette affaire, je le vois encore assis, grand et maigre, dans son cabinet du château de Raconis, et dépliant une dépêche de Madame, que je venais de lui remettre. Comme la page, toute blanche, n’offrait de haut en bas aucune trace d’écriture visible, il ouvrit un tiroir, prit une fiole remplie d’un réactif, y trempa les barbes d’une plume qu’il promena ensuite méthodiquement sur le papier ; puis, cette opération chimique terminée, les caractères ayant apparu, il se mit à déchiffrer la note à laquelle il répondit séance tenante, en ayant soin de recourir aux mêmes artifices. » Versatilité humaine ! Qui jamais eût soupçonné que ce prince, alors si ardent à conspirer pour la cause de la légitimité monarchique, lèverait un jour l’étendard de l’indépendance italienne ? Il est vrai que la question ici s’offrait complexe. Sur le premier plan flamboyait l’idée de nationalité, idée sainte, idée souveraine. Pie IX l’avait saluée de son enthousiasme ; un prince italien, un roi de Piémont pouvait-il ne se point armer pour sa défense ? On n’a point assez admiré avec quelle habileté prodigieuse toute cette partie fut jouée au début par les révolutionnaires. Quel homme que ce Mazzini, fanatique dont le type semblait avoir cessé d’appartenir à nos âges, sectaire de la pire espèce ! Comme il s’insinue au cœur de l’Italie, comme il la prépare et l’élabore, cette crise qui doit lui livrer le monde ! Au fond de lui est la république universelle, l’utopie insensée ; au dehors, le masque du moment se montre seul. Libéralisme, nationalité, peu lui importent les causes, pourvu qu’elles l’aident à s’emparer de l’heure présente. Jusque dans les conseils des rois s’étend son influence, jusque dans l’urne du conclave sa main plonge. Au milieu de cet Éden de l’Italie, on dirait le serpent tentateur. À la belle âme de Pie IX, enivrée des acclamations du monde catholique, il parle de la sainte ligue des peuples ; aux oreilles de l’ambitieux Charles-Albert, il chuchotte : « Tu seras roi d’Italie ! » Puis, la croisade à peine entamée, les choses tout à coup changent d’aspect, et voilà que, par un subit revirement, il se trouve que l’ennemi commun, ce n’est plus seulement désormais l’Autrichien, mais Pie IX, mais le roi de Naples, mais le roi de Sardaigne et tous les princes italiens qui s’étaient levés pour la défense du territoire. Derrière la question nationale se dresse maintenant la question sociale : monarchie ou république. Plus de rois, plus de papauté, en un tour de main l’escamotage s’est accompli, et, tandis que la puissance du Piémont s’effondre à Novare sous le canon de Radetzky, Mazzini entre à Rome, où il règne et gouverne à la place de Pie IX, qui est à Gaëte. « Il n’était point Alexandre, mais il eût été son premier soldat. » Ce mot ingénieux de Voltaire sur Charles XII s’applique admirablement à Charles-Albert. Une fois engagé dans la révolution, bien lui en prit d’être ce premier soldat, car ne l’eût-il pas été, la force des