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avait pu rétablir le pont de bateaux et, tournant la porte où le guettait l’insurrection, était entré par un autre point dans la citadelle. Ce renfort rendait sans doute un peu moins désespérée la situation du commandant. N’oublions pas toutefois que Mantoue compte trente mille habitans, et que, mal rassuré sur les dispositions du personnel italien de sa garnison, le général autrichien veut ne s’aventurer qu’à la dernière extrémité dans une lutte de carrefours. Une commission envoyée par le parti de l’insurrection modérée s’était rendue auprès du vice-roi, alors à Vérone, lequel avait répondu simplement qu’il laissait le général commandant la forteresse libre d’agir selon ce que son devoir et sa conscience lui dicteraient. Le comité voulait voir à toute force un encouragement dans cette parole, et réitéra sa démarche auprès de Gorczkowsky, l’invitant derechef à livrer la forteresse. Le général répondit froidement que d’abord il n’avait point reçu du vice-roi un ordre de la sorte, mais que, le fait existant, il refuserait de s’y soumettre, n’ayant à rendre compte de sa conduite qu’au maréchal Radetzky ; que dès lors on cessât de l’importuner à ce sujet, car il était résolu à ne livrer qu’avec sa vie la place où l’avait mis la confiance de son empereur. Furieux de se voir ainsi éconduits, les hommes du mouvement précipitent la collision ; le peuple ameuté charge ses armes, la garnison s’apprête à vendre chèrement sa vie, des ruisseaux de sang vont couler. Tout à coup en dehors des murailles une fanfare retentit, des escadrons couvrent la plaine. Hurrah ! c’est Radetzky ; Mantoue est sauvée ! Il y a dans cette péripétie je ne sais quoi de dramatique et d’émouvant qui vous attire. Cette garnison impériale aux abois sur les remparts de Mantoue, ce vieux guerrier qui, juste à l’instant voulu, accourt à sa délivrance, ces clairons, ces drapeaux, ces escadrons secouant devant eux la poussière, on se croirait en plein moyen âge, en plein Shakspeare.

La faiblesse du général Zichy avait perdu Venise ; l’attitude ferme et décidée du général Gorczkowsky sauva Mantoue. Ces deux faits, qui eurent lieu à si peu de distance l’un de l’autre, provoquent involontairement la comparaison, et l’admiration que vous ressentez pour celui-ci augmente encore, s’il est possible, la triste impression que celui-là vous inspire. Ce n’était cependant, à Dieu ne plaise, ni un traître ni un lâche que le général comte Zichy, l’un des plus illustres gourmands que les temps modernes aient vu naître, et qui, dans son trop comfortable hôtel du Campo San-Stefano, donnait des dîners à désespérer l’ombre de Lucullus. Le comte Zichy connaissait à merveille son poste de gouverneur de Venise, il en savait le fort et le faible, et possédait en outre l’estime et la confiance du maréchal Radetzky ; mais Zichy aimait passionnément la bonne chère, en dissertait volontiers et à toute heure, et comme jadis chez nous le duc Des Cars, joignant l’exemple au précepte, s’entendait à merveille à préparer