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il le resserrait dans une forme simple et pure. Cette condensation est un des principaux mérites des Mélodies. Le jet du petit poème en est plus naturel ; il va droit au sentiment auquel il s’adresse, sans donner le temps à l’émotion ou au charme qu’il produit de se fatiguer et de s’allanguir. On sent que Moore a laissé chanter son âme dans la calme liberté de la campagne, qu’il n’a pas subi en écrivant l’influence des diversions, des mille bruits, des saccades et des excitations artificielles de la vie des villes. L’inspiration une fois trouvée et condensée dans le moule musical, Moore ne s’occupait plus que de la perfection et du fini des détails. Il ruminait et fredonnait ses vers devant son piano ou en errant à travers champs. Il cueillait, rassemblait et assortissait ses mots comme en un bouquet. Les Mélodies étaient son occupation du matin ; le soir, il les essayait au piano devant sa femme et des voisins en visite chez lui, ou bien il faisait des lectures à haute voix : les anciens poètes, les poètes du jour, les romans nouveaux. La vie de cottage avait même l’agrément de n’être point incompatible avec les plaisirs de société. Dans un pays où l’aristocratie et le monde distingué habitent la campagne pendant la plus grande partie de l’année, la campagne n’est jamais sans ressources pour un homme cultivé. Moore trouva dans ses trois séjours, sans parler des châteaux et de leurs nobles hôtes, d’excellentes relations de voisinage, encore assez nombreuses pour alimenter de gaies soirées avec accompagnement de danse, de musique et de souper. Enfin, de temps en temps, Moore relevait l’uniformité de son existence ordinaire par des excursions à Londres, où il se retrempait, rattrapait le ton du jour et soignait sa réputation, en donnant, comme il disait, une exhibition de sa personne.

Le succès des Mélodies fut instantané, universel. Moore eut bientôt un rare témoignage du rang qu’il prenait parmi ses contemporains : Byron lui dédia le Corsaire. Lord Byron disait dans sa dédicace : « Je saisis cette occasion d’orner mes pages d’un nom consacré par des principes politiques intègres et par le talent le plus incontesté et le plus divers. L’Irlande vous compte parmi les plus fermes de ses patriotes ; vous êtes dans son opinion le premier de ses bardes, et la Bretagne répète et ratifie ce jugement. Permettez à un homme dont le seul regret, depuis le commencement de sa liaison avec vous, est le temps qu’il a perdu avant de vous connaître, d’unir l’humble suffrage de son amitié à la voix de deux nations… Enfin, disait-il en terminant, il peut m’être utile que l’homme qui fait les délices de ses lecteurs et de ses amis, le poète de tous les cercles et l’idole du sien, me permette de me dire ici et ailleurs son ami, etc. » - On pourra dire, remarquait Moore, qu’il me jette la louange à la pelle ; mais du moins la pelle est d’or. — En ce temps-là, Jeffrey, le rédacteur en