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et dernier désappointement : la place n’était pas aussi lucrative qu’on l’avait représentée d’abord ; il n’y avait pas d’espoir d’y acquérir rapidement l’aisance après laquelle courait notre poète. Ces considérations additionnées décidèrent Moore, au bout de trois mois, à quitter les Bermudes. Il ne se démit pas de sa place, il la fit gérer par un suppléant, ce qui lui coûta cher, comme on le verra plus tard, et revint en Angleterre en touchant aux États-Unis.

Sa courte excursion aux États-Unis ne lui laissa que des impressions défavorables. Ce n’est pas que Moore eut à souffrir aucune blessure d’amour-propre dans la jeune république ; au contraire, il se trouvait devancé partout par sa réputation de poète. Le respect du mérite littéraire était encore si répandu à cette époque dans le monde, que Moore en reçut, même aux États-Unis, de charmans témoignages. Des capitaines de navire refusaient le prix de ses traversées. À Niagara, un pauvre horloger qui avait raccommodé sa montre se trouvait assez payé par l’honneur d’avoir pu rendre service à un homme dont il avait tant entendu parler, « C’est le nectar de la vie, » s’écriait Moore touché de ces hommages. Ce qui le chagrinait aux États-Unis, c’étaient les institutions républicaines et les mœurs grossières, le néant de société polie qu’il attribuait à leur influence. Il vit à Philadelphie un de ses amis d’université de Dublin que la rébellion de 1798 avait contraints à s’expatrier : « Je me sens gêné avec Hudson, écrivait-il ; peut-être son séjour en ce pays l’a-t-il confirmé dans ses anciennes opinions politiques. Quant à moi, Dieu le sait, je n’y vois de toutes parts que des motifs de changer les miennes. » Il avait été reçu avec tous les honneurs littéraires à Philadelphie et dans plusieurs autres villes. « Cependant, écrivait-il, ce que je n’oublierai jamais de ce pays, c’est la nature ; mais les plus beaux paysages ont peu d’attrait quand aucun sentiment du cœur ne se mêle à l’agrément ou à l’admiration qu’ils inspirent. Je défie les barbares naturels de cette terre de forger des chaînes qui puissent retenir les cœurs qui ont déjà connu les charmes de la délicatesse et du raffinement. Je devrais faire une exception pour les femmes : elles sont les fleurs de tous les climats ; mais ici elles perdent leur parfum de la façon la plus déplorable. »

Moore, de retour en Angleterre, avait sa vie à recommencer : vie du monde, vie positive liée aux vicissitudes politiques, et vie littéraire. Il reprit la vie du monde où il l’avait laissée. À peine débarqué, il rencontra dans un souper le prince de Galles : « Je suis enchanté de vous revoir, Moore, lui dit le prince. D’après ce que j’avais entendu dire, je craignais que vous ne fussiez perdu pour nous. Je vous assure (en lui tapant sur l’épaule) que c’était un regret général. » Tout le monde lui faisait fête. « Si les fleurs répandues devant