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n’était pas d’une mince considération. On délibéra un moment dans la pauvre famille si l’on ne présenterait pas Moore comme protestant à l’université. Tel est l’effet démoralisant de l’inégalité sanctionnée par les lois en matière de religion ; mais l’hésitation ne dura qu’un instant dans l’esprit des parens de Moore : le vieux sentiment de la foi et de l’honneur reprit le dessus. Il fut décidé que Tom resterait catholique à tout risque, et ne songerait qu’à la carrière du barreau.

Les études de Moore à l’université ne furent point illustrées par les succès que semblaient promettre ses débuts d’écolier. Moore n’eut qu’un prix la première année ; puis, dégoûté des exercices arides par lesquels se gagnaient les honneurs universitaires, il se contenta d’appliquer aux études littéraires qui l’attiraient la liberté de son esprit et sa juvénile soif de savoir. Il continua à composer des poésies légères ; il poursuivit ses études musicales ; il eut l’idée d’employer à une traduction en vers d’Anacréon la connaissance du grec, dans laquelle il se fortifiait. Le profit le plus net, l’avantage le plus viril qu’il retira de sa vie d’université, lui vinrent du frottement qu’il y eut avec de remarquables compagnons d’études. L’action exercée par l’enseignement des professeurs sur les jeunes gens qui suivent les cours d’une université, qui arrivent à ce moment de la vie où toutes les ambitions et toutes les audaces s’emparent des intelligences, est bien stérile, à elle seule, à côté de l’influence réciproque que ces jeunes esprits enflammés exercent les uns sur les autres dans leurs relations de camaraderie. Toutes les fois qu’une génération de jeunes gens est animée d’un généreux souffle et se sent appelée aux grandes vocations, c’est par des associations particulières qu’elle s’excite et se féconde. Le professeur, dans sa chaire, distribue la science morte ; l’esprit vivant, celui qui renouvelle la vie intellectuelle d’un peuple, il est dans ces jeunes enthousiastes qui se réunissent pour échanger leurs découvertes, leurs pressentimens, leurs espérances. Moore se trouva lancé à l’université dans une réunion de ce genre, dans ce qu’on appelle en Angleterre une debating society. Il s’intéressa beaucoup aux discussions qui agitaient la debating society de l’université ; mais soit réserve, soit défiance de lui-même, plus jeune ou plus léger que les autres, Moore ne prit point une part directe aux controverses effervescentes auxquelles il assista. La politique embrasait les plus éloquens de ces jeunes orateurs. L’Irlande était alors en proie à une fièvre d’impatience qui poussait les têtes ardentes à la conspiration et qui aboutit à la malheureuse rébellion de 1798. Les plus distingués des camarades de Moore furent compromis dans cette fatale échauffourée. Ce fut un bonheur pour lui d’être resté à l’écart. Il fut témoin de la triste destinée de ses amis : les uns jetés en prison, les autres forcés de s’expatrier,