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chose de plus que cette vivacité de jet, cette soudaineté d’inspiration, cette floraison naturelle, lesquelles, chez ceux qui n’ont que cela, brillent un instant et s’en vont avec la jeunesse comme une sorte de poésie du diable. Moore avait autant d’instruction littéraire acquise qu’il avait d’imagination et d’esprit. Il était scholar dans toute l’acception du mot anglais. Aussi, à l’âge où la poésie s’attiédit, il put écrire des ouvrages de prose intéressans et distingués. Il publia une histoire de son éloquent compatriote Sheridan, et un livre sur un autre Irlandais célèbre, le malheureux lord Edward Fitzgerald, chef de la rébellion de 1796. Dans ces deux ouvrages, Moore avait abordé la politique sans tomber dans ces tons faux et criards, dans ces notes discordantes et ridicules qu’évitent rarement parmi nous les hommes qui se sont longtemps cantonnés dans la littérature pure, lorsque l’idée leur vient de faire des excursions à travers la politique. Tel était dans Moore le poète et le littérateur. De sa personne, voici ce que l’on avait pu apprendre, de son vivant, par cette légende anecdotique qui circule vaguement autour des noms célèbres. On savait que Moore était un tout petit homme au front spirituel, avec la vivacité d’allures et l’espièglerie de mouvemens particuliers aux hommes de petite taille ; on savait qu’il avait dans sa toilette et dans ses manières le raffinement et l’élégance d’un gentleman ; on savait que son élément et son triomphe étaient le monde et les salons, dont il faisait les délices par son esprit et ses mélodies, qu’il chantait lui-même à ravir ; on savait qu’il était bon, gai, courageux, et pour cet heureux équilibre de qualités aimables, Moore était renommé, recherché et universellement aimé.

Moore avait entrepris d’écrire lui-même ses mémoires. En 1833, il plaçait cette note en tête de son manuscrit : « Commencés depuis longtemps, ils ne seront, je le crains, jamais finis. » En effet, comme Walter Scott et comme Southey, il ne raconte que les souvenirs de son enfance et s’arrête à l’entrée de sa jeunesse.

Il était né à Dublin le 28 mai 1779. Son père était un petit marchand de vins, qui se maria vieux garçon et augmenta son établissement avec la modeste dot de sa femme. Tom fut leur premier enfant. Il est curieux de voir le poète délicat et le futur homme du monde éclore dans une arrière-boutique et se former dans cette famille de petite bourgeoisie. Comme c’est l’usage pour la plupart des hommes distingués, l’influence de sa mère fut celle qui dirigea son enfance et fixa les principaux traits de sa vie. Mme Anastasia Moore mit tout son orgueil, toute son ambition dans son jeune fils. Chaque fois que l’on pénètre dans ces intérieurs bourgeois du XVIIIe siècle, en Angleterre aussi bien qu’en France et en Allemagne, on est surpris et charmé du double caractère qui les distingue des mœurs de la bourgeoisie actuelle : c’est un goût très vif des plaisirs de société et des