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lectuel de notre pays, et, pour peu qu’on observe cet état, on ne pourra que reconnaître l’utilité d’une nouvelle et forte impulsion. On se souvient sans doute de la querelle engagée, il y a quelque temps, par M. l’abbé Gaume, au sujet des classiques. Un ecclésiastique, M. l’abbé Delacouture, publie encore un nouvel ouvrage où revivent ces mêmes débats. Peut-être, à ce point de vue, le livre de M. Delacouture vient-il un peu après le combat. La thèse de M. l’abbé Gaume n’est-elle pas en effet bien épuisée ? N’est-elle pas jugée définitivement ? Mais le nouvel ouvrage embrasse un autre ordre de questions où la théorie des classiques chrétiens n’est mise en cause que d’une manière incidente. Dans son but spécial, comme son titre l’indique, le livre de M. l’abbé Delacouture est une série d’Observations sur un décret de la congrégation de l’Index du 27 septembre 1851. Ce décret atteignait un Manuel de Droit canonique publié par M. l’abbé Lequeux, très fort soupçonné de gallicanisme, et qui s’est d’ailleurs soumis à la décision rendue contre lui. Or la première question que se pose M. l’abbé Delacouture est celle de savoir si les décrets de la congrégation de l’Index, au point de vue religieux, ont force de loi en France. L’auteur résout cette question dans un sens contraire à l’école ultramontaine, et il cite plus d’un exemple de nature à affaiblir l’autorité de l’Index. Ce n’est point là d’ailleurs le seul intérêt des Observations de M. l’abbé Delacouture. Le décret de l’Index n’est qu’un point de départ d’où l’auteur arrive à discuter l’ensemble des doctrines de l’école ultramontaine au point de vue religieux, philosophique, social et même littéraire. Ainsi, on le voit, le champ s’élargit singulièrement, un vaste horizon s’ouvre à la discussion. Une des parties les plus curieuses du livre de M. Delacouture est celle où il s’efforce de rattacher les manifestations récentes du catholicisme ultramontain aux opinions anciennes de M. de Lamennais. De quelque manière qu’on envisage ces questions, il y a une chose très caractéristique à observer, c’est l’ardeur avec laquelle les esprits se portent depuis quelque temps vers l’étude de cette nature de problèmes. La vivacité des discussions religieuses s’est réveillée, comme pour montrer à tous les yeux la grande et juste place que la religion ne cesse d’occuper dans le monde, et qui lui est plus spécialement encore assignée par les défaillances de notre temps. C’est là, c’est dans cet ordre de questions qu’il se publie encore le plus d’œuvres de mérite, qu’il y a le plus de mouvement et quelquefois le plus de talent, tandis que, dans le domaine plus purement littéraire, la lassitude et l’indécision apparaissent comme les incontestables symptômes de cette situation douteuse que nous traversons.

Au milieu de l’incertitude intellectuelle contemporaine, nous cherchons où est la vie, où va le succès. Le succès continue à aller pour le moment vers une œuvre étrangère, vers le roman de Mme Beecher Stowe. Vingt traducteurs se disputent la célèbre histoire nègre ; le théâtre en vit. Nous assistons à une merveilleuse recrudescence de sensibilité pour les noirs, bien qu’il ne se soit pas formé encore en France, comme en Angleterre, une société de dames pour l’abolition de l’esclavage aux États-Unis. Et ce n’était point assez de l’Uncle Tom’s Cabin pour épuiser la curiosité ; nous avons aujourd’hui les Nouvelles américaines de Mme Beecher Stowe. Le roman valait mieux ; les nouvelles ne sont que de légères et peu profondes esquisses de la vie américaine, qui ne doivent très certainement de voir le jour en France qu’au succès de leur aîné.