Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/60

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

point à l’industrie privée d’apporter à Java des capitaux, il voulut lui en faire l’avance. Il s’engagea en outre à fournir aux contractans la canne à sucre et les bras dont ils auraient besoin pour faire marcher leur usine, bornant leur rôle comme leur responsabilité à la fabrication du sucre, et réservant pour lui seul les périls, les embarras de l’exploitation agricole. Pour prix de ses avances et de son concours, il stipula qu’il paierait 29 centimes le kilogramme de sucre qui en coûtait 25 au fabricant, et qui en valait communément 44 sur le marché d’Amsterdam.

L’adoption de ce système[1] eut pour premier avantage de faire rentrer l’excédant annuel dans les magasins de l’état sous une forme qui en permît l’envoi en Europe; mais ce fut la moindre conséquence de la transformation de l’impôt. La Hollande dut, en quelques années, à l’heureuse inspiration du général Van den Bosch une augmentation considérable dans ses revenus coloniaux, et, ce qui n’était pas moins important, la création d’une marine et d’une industrie nationales. Java ne cessa point d’être le grenier d’abondance de l’archipel indien, d’exporter chaque année soixante-trois ou soixante-quatre millions de kilogrammes de riz. Cette île produisit en outre presque autant de sucre que le Brésil et plus que l’Hindoustan. Elle devint le second marché de café du monde, balança la production d’indigo des états de l’Amérique centrale, exporta de la cochenille, du thé, du tabac, de la soie, — alimenta, grâce à la création d’une société de commerce privilégiée, la Handel Maatschappy, la navigation de cent soixante-dix navires hollandais du port moyen de huit cents tonneaux, — et versa enfin chaque année dans les caisses de l’état un bénéfice net de 43 millions de francs, de 17 millions dans celles de la Maatschappy[2].

  1. On peut voir, sur le système des cultures et l’organisation du gouvernement colonial de Java, la série publiée dans cette Revue par M. de Jancigny, livraisons du 1er novembre 1848, 1er décembre 1848, et 1er février 1849.
  2. C’est à Java même qu’aidé par les communications les plus bienveillantes, j’essayai de pénétrer le secret de ce merveilleux système des cultures, car tel est le nom désormais consacré pour désigner l’œuvre du général Van den Bosch. Je dus naturellement remarquer avec une certaine surprise qu’en même temps que l’état recevait dans ses magasins du sucre, du café, de l’indigo pour une valeur considérable, la récolte des rizières et le produit de l’impôt foncier, loin de diminuer, ne faisaient que s’accroître. Cette coïncidence semblait indiquer, au premier abord, le cumul des anciennes taxes et des nouvelles cultures plutôt que la conversion de l’impôt en corvées personnelles; mais c’est ailleurs, si je ne me trompe, qu’il faut chercher l’explication du résultat que je viens de signaler. On la trouvera dans l’observation d’un des faits qui honorent le plus et qui peuvent le mieux justifier, aux yeux de tout homme impartial, la domination hollandaise; je veux parler de la progression rapide qui s’est manifestée, depuis 1816, dans le chiffre de la population indigène. De 4,600,000 habitans, ce chiffre s’était élevé, en moins de vingt ans, à plus de 7 millions. Le bienfait de la vaccine, qu’une combinaison ingénieuse a su imposer au fatalisme javanais par les mains des prêtres musulmans, la prospérité matérielle qu’amène à sa suite la paix intérieure, ont soutenu cette progression remarquable, et la population javanaise est le double aujourd’hui de ce qu’elle était en 1816, le quadruple de ce qu’on l’évaluait en 1774.