Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/593

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fonctions dont tu parles ? » Il fallut en convenir, à Eh quoi ! dit alors l’Indien jouant la surprise et avec une extrême indignation, ainsi tu as vendu le sang de mon frère. » Le magistrat qui racontait cette scène avouait que dans le moment il n’avait trouvé rien à répondre.

Malgré ce qu’on me dit à l’avantage des Indiens, je vois que leurs vestiges ont été bien vite effacés. Là où est aujourd’hui la promenade publique, on ne voyait, il y a quinze ans, que leurs wigwams et leurs tombeaux. Que sont devenus ces tombeaux ? ai-je demandé. Washed away, balayés par les eaux, m’a-t-on répondu. N’a-t-on pas aidé aux eaux ? Cependant le culte des tombeaux est un des traits les plus touchans et les plus respectables du caractère indien. On m’a raconté que des sauvages étaient venus il n’y a pas longtemps, et venus de très loin, dans un canton de la Nouvelle-Angleterre, d’où ils avaient été chassés depuis plusieurs générations, pour visiter les tombeaux de leur tribu. Quand ils virent qu’on avait détruit ces sépultures, leur surprise et leur désespoir furent au comble : rien ne pouvait apaiser leur douleur ni calmer leur indignation.

C’est là ce qui perd dans l’esprit des Indiens les hommes civilisés, qu’ils ont trop souvent sujet de mépriser. Des bandits, l’écume de la population, s’établissent sur la frontière pour tromper les malheureux sauvages. Un de ces hommes disait naïvement : « Je suis venu de cent lieues pour voler des Indiens. » Aussi l’oncle de la dame que j’ai vue ce matin, auquel elle offrait de se charger de l’éducation de ses enfans, lui répondit : « J’aimerais mieux leur couper la gorge que d’en faire des coquins pareils à ceux qui nous reprennent ce qu’ils nous ont donné. »

Il y a trente-six églises à Chicago. Elles appartiennent à diverses communions chrétiennes. J’entends dire, et ce n’est pas pour la première fois : Nous aimons la diversité des sectes ; nous y voyons une garantie contre la prépondérance de l’une d’elles. C’est bien là l’esprit démocratique, qui prend ombrage de tout ce qui dans la société pourrait exercer sous un nom ou sous un autre trop d’influence et trop d’empire ; mais est-ce autant l’esprit religieux, cet esprit qui paraît du reste être si puissant en Amérique ? Les sentimens des Américains en matière de religion sont pour moi, à quelques égards, une énigme que je ne comprends pas bien encore. Si l’on admet réellement une profession de foi quelconque, il est impossible qu’on juge également en possession de la vérité des sectes divisées sur des points très importans et qui souvent s’anathématisent les unes les autres. Peut-être aux États-Unis le grand nombre est-il plus convaincu de l’excellence et de l’utilité morale de la religion que de la vérité de tel. ou tel dogme. Hommes d’action plutôt que de réflexion et très pressés peut-être, leur volonté adhère fortement à des croyances qu’ils n’ont