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l’effet de cette poétique intention? Pourquoi la sibylle de Mantoue est-elle jetée au milieu d’événemens atroces? M. Léopold Schefer était peu préparé à cette difficile tâche du roman historique. Ni la ferveur chrétienne de M. d’Uechtriz, ni le dramatique réalisme de l’auteur de Carrara, ni l’érudition ingénieuse de M. Menzel, n’ont pu se déployer dans une belle œuvre où l’invention et l’histoire fussent savamment combinées; les mystiques éblouissemens d’un panthéiste convenaient moins encore à un tel cadre. Les œuvres que j’ai citées ont chacune leur prix, celles-ci par l’intérêt philosophique et moral, celles-là par le talent et la science; il n’en est pas une qui réponde à toutes les conditions du genre, et l’Allemagne attend toujours son Walter Scott.

Le roman de high life n’a guère été plus heureux jusqu’ici. L’Allemagne ne connaît pas, comme l’Angleterre, ces hautes existences aristocratiques, ce sentiment altier du moi et ce mouvement de la vie publique qui agrandit le théâtre des drames intimes. Si les salons de Berlin et de Vienne ont eu aussi leurs peintres dans ces dernières années, c’étaient des peintres prétentieux, c’étaient des imaginations maniérées, et encore les écrivains dont je parle avaient-ils cru nécessaire, pour faire accepter leurs tableaux, d’y introduire je ne sais quel mélange de songeries humanitaires. Mme la comtesse Hahn-Hahn a eu pendant une dizaine d’années un succès assez bruyant; ses gentilshommes avaient pourtant je ne sais quoi de suspect, et ses marquises étaient manifestement les cousines de Lélia. M. de Sternberg ne visait pas au socialisme, mais quelle fatuité déplorable chez ces héros de la vie élégante! Aujourd’hui M. de Sternberg se tait; ses meilleurs récits, Galathée, Saint-Sylvan, Psyché, ont épuisé sa verve, et ce conteur si fêté, dans lequel le monde des salons avait cru un instant se reconnaître, n’est pas de ceux qui savent changer de manière et se renouveler avec force. Mme la comtesse Hahn-Hahn a renoncé aux aventures mondaines. Récemment convertie au catholicisme, elle vient d’annoncer elle-même cet événement en d’étranges manifestes. L’étincelante virtuose n’a pas brisé sa plume, elle commence seulement une carrière nouvelle, une carrière de prédication et de pénitence publique où elle apporte, hélas! dès le début, ce qu’il y a de plus contraire aux sentimens qu’elle proclame. Il y aura lieu peut-être d’apprécier cette seconde phase de sa vie. Quant au tableau des classes supérieures, quant à la peinture fine et vraie des relations humaines, quant à ce roman qui peut devenir, entre des mains habiles, une des formes les plus ingénieuses de l’enseignement moral, ce n’est ni de la comtesse Hahn-Hahn ni du baron de Sternberg qu’il faut l’attendre; il est évident que leur règne est passé. La première condition du genre, et ni l’un ni l’autre ne la possédait, c’est l’observation pénétrante et profonde. Les touchans récits qu’on a lus ici même, Résignation, le Médecin du village, une Histoire hollandaise, sont des modèles qu’on peut consulter avec fruit. L’Angleterre aussi est riche en tableaux de ce genre. Or j’ai cru découvrir une œuvre de cette famille chez un écrivain qui, appartenant déjà à l’Angleterre et à la France, vient de prouver qu’il maniait la langue de Goethe avec une élégante souplesse : je parle de Falkenbutg de Mme Blaze de Bury. C’est vraiment une belle et touchante histoire. L’aristocratie allemande et l’aristocratie anglaise y sont habilement décrites dans les ressemblances et les contrastes. Waldemar de Falkenburg est le dernier descendant de l’une