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en effet à la douleur des espérances trompées, et semblent promettre une revanche. Les patriotes sont tristes ; de grands efforts ont été accomplis, de généreux sentimens ont été dépensés en pure perte : l’unité allemande n’a été que le rêve d’une heure; M. Gutzkow, par ces belliqueux accens, semble avoir à cœur de ranimer les courages. Le dernier volume de son roman a beaucoup réussi. On assure que l’auteur a reçu maintes lettres qui l’interrogeaient sur la réalité de cette association ; les mystérieux enrôlemens ont tant d’attraits dans la patrie du Wehmgericht et du Tugendhund! Du nord et du sud, bien des Dankmar inconnus sollicitaient une place au sein de la chevaleresque phalange. Ce qu’il y a de vague dans les peintures de l’auteur contribuait encore à enflammer les imaginations. Que ce nom est beau : les chevaliers de l’Esprit ! Les héros du XIIIe siècle, qui poursuivaient le Saint-Graal, les Parceval, les Titurel et tous leurs compagnons n’étaient-ils pas de cette confrérie mystique? N’y faut-il pas rattacher aussi les adeptes de Joachim de Flore, qui voulaient substituer à la religion du Christ la religion de l’Esprit-Saint, et que Dante a placés néanmoins dans les splendeurs du paradis? Mais, poétiques ou réels, orthodoxes ou hérétiques, tous les chevaliers de l’Esprit au moyen âge étaient les soldats d’une foi positive, d’une foi parfaitement définie; ils appartenaient à la communion chrétienne. Que veulent, au contraire, les chevaliers de M. Gutzkow, ? Où est leur évangile? quel dogme éclaire leur route dans la mêlée des choses humaines? Ce n’est pas assez de dire : nous voulons le progrès de la civilisation, nous voulons aider de toutes nos forces au triomphe de l’humanité et de la justice. Comment comprenez-vous ce progrès? où voyez-vous le triomphe de la justice, et par quels chemins marcherez-vous à votre but? Sur tout cela, M. Gutzkow est muet, et les actions de ses héros ne sont pas de nature à nous faire deviner l’énigme. Ces chevaliers n’agissent, as ; ils se disent l’un à l’autre : A l’œuvre, à l’œuvre ! et rien ne se fait. En vain sont-ils fiers de leur beau titre, ils ne le méritent ni par la sublimité de l’intelligence, ni par l’audace des résolutions. Je dirai à ces héros qui séduisent la jeunesse allemande : L’indécision de vos pensées vous condamne. Votre idéal est plein de contradictions et de chimères. Vous croyez être les soldats de notre siècle, et vous empruntez au moyen âge je ne sais quelles formes vides sans lui demander l’esprit souverain qui en faisait la force. Vous prétendez glorifier l’humanité, et vous en méconnaissez la noblesse. Ouvrez les yeux : le monde moderne, malgré toutes ses misères, est plus poétique et plus grand que vos conciliabules. La grande société secrète, c’est l’invisible société des âmes ; or, pour que les âmes, en s’unissant, puissent préparer un avenir meilleur, apprenez-leur d’abord à se régénérer. Vous répétez sans cesse que vous êtes à une époque de rénovation sociale ; cela sera vrai seulement le jour où chacun de vous, sans conspirations et sans embûches, y appliquera une volonté sérieuse.

Cette idée du renouvellement individuel est comme entrevue dans un roman dont le titre et les premiers tableaux m’ont charmé. Pourquoi faut-il que l’auteur réponde si peu aux espérances qu’il avait fait concevoir ? je parle du récit en trois volumes que M. Berthold Auerbach intitule hardiment Vie nouvelle. Dante a raconté sous ce titre les mystiques extases de son enfance; M. Auerbach l’applique à la situation présente de l’Allemagne, aux doutes qui