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voulant que sa mort fût un argument en faveur des opinions qui avaient passionné ses dernières années. Au parlement, Fox demanda en quelques paroles émouvantes qu’il fût enseveli avec des honneurs publics à l’abbaye de Westminster; mais, par une clause expresse de son testament, Burke avait prescrit qu’on l’enterrât à Beaconsfield, auprès de son frère et de son fils, avec la plus grande simplicité.

Il nous reste peu à dire, et les réflexions qui nous ont échappé en racontant sa vie indiquent assez quelle est notre opinion sur cet homme remarquable. Nous avons laissé voir toutes ses bonnes qualités. C’était une âme élevée, mais irritable, un cœur ouvert, sensible, mais extrême dans ses sentimens, et que l’indignation pouvait conduire jusqu’à la haine. Franc, désintéressé, capable de générosité, quoique la générosité lui coûtât, ardent pour la justice, quoique souvent injuste, il a porté dans les affaires, publiques ces motifs de haute moralité qui ennoblissent les torts mêmes qu’ils ne préviennent pas, et peu d’hommes publics se sont attachés davantage à soumettre la politique aux principes universels de l’honnêteté et de l’humanité. Par là surtout, par la dignité de ses idées et la sévérité de ses discours, il a certainement contribué à élever le niveau moral du monde où il vivait, et je le regarde sous ce rapport comme un des plus vrais réformateurs du parlement britannique.

Les hommes de ce caractère réservent toutes leurs passions pour les affaires publiques. C’est dans le sénat qu’ils ont leurs inégalités, leurs inimitiés, leurs violences. Il faut aux choses une certaine grandeur pour les émouvoir, au point de les arracher par instans à leur bonté native. Dans la vie privée, ils n’ont presque toujours que leurs qualités. L’existence intérieure de Burke fut pure et douce. Il était au-dessus de toutes ces petitesses qui agitent les âmes communes, de tous ces sordides intérêts qui les dégradent. Sincère, affectueux, tendre même, il donna et reçut le bonheur. La femme qu’il avait choisie justifia son choix; avec beaucoup de grâce, il avait écrit pour elle son Idée d’une femme parfaite, et il persista dans cette idée. On a vu combien il aimait le fils dont la mort laissa dans son cœur une si large et incurable plaie. Son frère Richard, tous ses autres amis le chérissaient en l’admirant, et son commerce empruntait un grand charme d’une conversation facile, attachante, toujours aux ordres de son esprit. Souvent sérieuse, parfois enjouée, jamais frivole, elle captivait moins par des saillies piquantes que par l’abondance des idées et la variété des points de vue. Johnson mettait la conversation de Burke au-dessus de ses ouvrages, tout en remarquant qu’il avait peu de traits. Sa vivacité, sa chaleur ajoutaient au prix de son entretien, et pour le trouver irritable dans ses impressions et impérieux dans ses idées, on était trop naturellement porté devant lui à la