Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/471

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et, lorsqu’on se leva pour aller prendre le café, Burke dit en élevant la voix et comme dernier avertissement :

Illic fas régna resurgere Trojæ,
Durate, et vosmet rebus servate secundis.

En écrivant à son fils, en lui parlant de ces conférences et de l’inutilité de ses efforts, il le charge de conseiller aux princes la rédaction d’un bill des droits, contenant les garanties d’une constitution libre, car il trouve insuffisante leur déclaration. Sur ce point, il reste un homme d’état anglais; il est contre la révolution, il est contre l’absolutisme. Cette politique était spécieuse; par malheur, elle avait pour premier acte nécessaire et pour instrument obligé la coalition de Pilnitz. Burke conseillait le contradictoire, et il espérait l’impossible; mais les rois absolus pour alliés ne l’effrayaient point, et dans ses Pensées sur les affaires de France, écrites en décembre 1791, il s’efforce de prouver que la France, n’ayant été traitée par l’Europe que sur le pied d’une monarchie, affranchit, en cessant d’en être une, les puissances étrangères de tout engagement. Une révolution de doctrine et de dogme crée pour chaque état de nouveaux intérêts qui peuvent changer tous les rapports de la politique. Il ne faut attendre des seules causes intérieures aucune contre-révolution en France; le système dominant s’y fortifie à proportion qu’il dure, et l’intérêt de ceux qui le soutiennent est d’agiter, de bouleverser tous les pays. Les gouvernemens de l’Europe n’ignorent pas entièrement le danger, mais ils préfèrent la défensive. Il y a partout un parti modéré français; la philosophie française a gagné les cours, les cabinets, les souverains eux-mêmes. Ce parti modéré, qui prévaut en France depuis la fuite de Varennes, est le pire de tous, et cependant il fait des dupes. C’est, dit-il, la dernière fois qu’il s’exprime sur ce sujet; mais il a voulu seulement montrer que l’ancien ordre de choses est ébranlé par toute l’Europe, et que le moment est venu de décider s’il faut le maintenir ou l’abandonner. La conséquence à tirer de cet exposé, écrit avec une indignation contenue et désespérée, n’était pas fort obscure : c’était une sorte de mise en demeure de l’Europe; mais Burke paraissait peu compter que l’Europe fît droit à sa requête.

Presque toute la première partie de l’année 1792 fut donnée à la politique expectante. La position de neutralité était décidément prise. Le jeune Richard Burke, revenu de ses missions d’outre-mer, avait été nommé agent des catholiques d’Irlande, c’est-à-dire qu’il était chargé de suivre en Angleterre leurs réclamations et la grande affaire de l’émancipation. Son père, qui s’en occupait alors avec zèle, correspondait avec lui sur cet important sujet, désespérant d’ailleurs d’amener le gouvernement anglais à ses idées sur la France. C’était