Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/440

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les hasards de la mer, la seule aussi qui promette quelques garanties de probité commerciale. Des marchands arabes, protégés par leur qualité de compatriotes du prophète, pénètrent quelquefois dans l’intérieur de l’île, demeuré inaccessible aux Hollandais. Ces voyageurs ont cru reconnaître sur leur route la trace de richesses minérales dont l’exploitation, bien qu’elle ne doive passer qu’après celle du sol, pourra devenir un jour un nouvel appât pour les émigrans chinois et pour les capitaux européens. L’avenir de l’île Célèbes ne nous semble donc pas douteux, et ce qui ajoute à l’intérêt que le port de Macassar en particulier doit nous inspirer, c’est que la France peut avoir sa part dans l’approvisionnement et dans les bénéfices de ce nouveau marché. L’Angleterre se gardera bien de favoriser par des expéditions suivies une place qui s’est posée comme la rivale de Singapore. Le commerce français, au contraire, a tout intérêt à se présenter sur un point où il ne doit pas trouver la concurrence écrasante des produits de l’industrie britannique. Il est rare que nos bâtimens de commerce, quand ils se rendent dans les mers de Chine, puissent compléter leur cargaison dans un seul port. Tel navire qui doit embarquer du thé à Canton s’arrête d’abord à Java pour y prendre du café, à Manille pour y charger des joncs et du bois de sapan. Macassar pourrait être une relâche plus avantageuse que Batavia pendant une moitié de l’année. Le détroit de Macassar, dont la reconnaissance sera bientôt achevée par les soins de la marine hollandaise, offre, pour gagner les côtes du Céleste Empire à contre-mousson, une route moins périlleuse que le passage de Palawan. De la poudre grossière et du fer en barre, des mouchoirs, des sarongs à grandes fleurs, des indiennes de Mulhouse pour les Malais, peut-être même quelques soieries brochées d’or, ou des draps écarlates, de bons vins de Bordeaux et quelques articles de mode pour la population chrétienne, voilà ce que trois ou quatre navires français pourraient apporter chaque année à Macassar. Ils y prendraient en retour, pour l’Europe, du café, de la nacre de perle, de l’écaille de tortue et de la poudre d’or ; pour la Chine, du riz, des rotins, de l’huile de coco et surtout du tripang. Ce qu’il m’est permis d’affirmer, c’est que, nulle part au monde, les bâtimens couverts du pavillon français ne rencontreront un accueil plus cordial et plus empressé que celui qui les attend dans les nouveaux ports francs de Menado et de Macassar.


E. JURIEN DE LA GRAVIERE.