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PROMENADE EN AMÉRIQUE.

aux États-Unis, ont une presse à leur usage : c’est la presse quotidienne, très importante au point de vue politique, mais qui ne compte point dans la littérature. La presse quotidienne est exclusivement américaine ; mais littérairement l’Amérique est en Europe, parce que la civilisation lui est venue d’Europe et lui en vient chaque jour, surtout maintenant que les deux mondes se touchent ; car si Louis XIV a pu dire dans son orgueil : Il n’y a plus de Pyrénées ! — la vapeur, cette puissance plus conquérante encore et plus souveraine, dit aujourd’hui : Il n’y a plus d’Océan.

Voilà pourquoi un pays dont l’organisation politique est si particulière est entré dans la littérature générale du monde : je dis la littérature générale, car l’uniformité toujours croissante de la civilisation moderne, qui a effacé presque partout la diversité des costumes, efface aussi la diversité des génies littéraires. Peut-être est-ce un malheur, mais certainement c’est un fait. Ce rapprochement entre les littératures des nations européennes a été d’abord une copie servile de la France par les autres peuples ou une contrefaçon de l’étranger par la France. À cette période d’imitation outrée a succédé une ère de développemens parallèles qui ne résultent point d’une reproduction artificielle, mais qui proviennent de la parité du développement social. Les littératures étaient d’abord entièrement différentes, puis elles se sont ressemblé parce qu’elles s’imitaient ; aujourd’hui elles se ressemblent sans s’imiter. Or ce qui est vrai des littératures de l’Europe s’applique à la littérature des États-Unis. Profondément distincte par son fonds des sociétés européennes, la société américaine tend à s’en rapprocher au moins dans sa portion la plus cultivée par le progrès naturel de la vie policée. La littérature des États-Unis ne sera pas un nouveau monde sans doute, mais elle sera une province de plus dans le vaste empire des littératures civilisées.

J.-J. Ampère.