Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/426

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

degrés centigrades, de 18 à 26 degrés sur les hauteurs! On comprend que le riz, sous un pareil climat, puisse aisément se passer du secours des irrigations; mais en France, sous le ciel presque toujours voilé de Paris ou sous le ciel pétrifié de la Provence, je crains bien que le wench rousiep, — tel est le nom sous lequel les Harfours désignent le riz noir, — ne trahisse insolemment notre attente[1].

A Menado même, le riz de montagne, dont on compte près de trente espèces différentes, ne produit, année commune, que vingt à quarante fois la semence, tandis que le riz arrosé ne rapporte jamais moins de cinquante à soixante grains pour un. Une partie de la récolte, — 1,500,000 ou 1,600,000 kilogrammes, — est livrée aux autorités hollandaises à raison de 3 fr. 8 cent, le picol[2], un peu moins de 5 centimes le kilogramme. Le dixième environ du produit de cet impôt foncier est expédié à Ternate pour les besoins de la garnison; le reste est vendu aux indigènes à raison de 5 francs 63 centimes les 62 kilogr. Le gouvernement réalise ainsi un bénéfice de 50,000 francs, qui sert à couvrir une partie des frais d’occupation, sans élever au-delà de 12 ou 13 fr. le prix des 137 kilogrammes de riz que chaque Indien consomme annuellement pour sa subsistance.

Le riz n’est point d’ailleurs le seul produit agricole de la résidence. On récolte chaque année à Menado près de 6,000 kilogrammes de café, et 70,000 kilogrammes de cacao. L’exportation du café est le monopole du gouvernement, qui en paie le kilogramme 43 centimes aux indigènes pour le revendre quelquefois le triple de cette somme sur le marché d’Amsterdam. Le cacao est, au contraire, abandonné sans restriction au commerce libre : des navires espagnols viennent en chercher la récolte, qu’ils transportent à Manille, où on le préfère au cacao du Pérou. On ne saurait se figurer un plus gracieux coup d’œil que celui des jardins de cacaotiers qu’on rencontre à quelque distance de la ville de Menado. Aussi loin que la vue peut s’étendre, on voit fuir de verdoyans quinconces dont le tronc pyramidal chargé

  1. Mes prévisions n’ont été que trop bien confirmées. Le 8 juin 1850, M. le ministre de l’agriculture fit parvenir à l’institut agricole de Versailles diverses variétés de riz de montagne, — riz blanc et riz noir, — que je m’étais empressé d’expédier à Nantes et au Havre par deux navires français que je rencontrai, le premier à Singapore, le second à Macao. Malgré la saison avancée, l’expérience fut tentée dès le 13 juin. Ce semis tardif ne permit point à la plante d’arriver à maturité. Elle végéta pendant toute la belle saison, et, malgré les châssis dont les plants avaient été couverts pour favoriser la maturation, lorsque les froids survinrent, tout jaunit et cessa de croître. L’année suivante, ou sema le riz le 12 avril; cette fois, malgré toutes les précautions prises, les grains n’ont pas même germé! Le climat de l’Algérie eût probablement mieux convenu à ces essais que celui de Versailles; mais avant de doter la terre d’Afrique du riz de Célèbes, que ne lui apporte-t-on le bambou !
  2. Le picol, qui forme la trentième partie du coyang et se divise en 100 cattis, équivaut à peu près à 62 kilogrammes.