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REVUE. — CHRONIQUE.

 
Vous, le soir, en priant, vous songez, ô ma mère !
À votre enfant parti pour la terre étrangère ;
Vous le rêviez pieux et fidèle au foyer ;
L’oiseau s’est envolé loin du toit familier.
Inquiète toujours, de nouvelles avide,
Vous errez tristement dans votre maison vide.
La nuit, les songes noirs vous visitent souvent ;
Vous redoutez la mer, les caprices du vent,
Le simoun meurtrier, le désert sans limite ;
Vous voyez votre fils sans amis et sans gîte,
Et vous invoquez Dieu pour le cher voyageur
Qui trompa tant de fois l’espoir de votre cœur.

Non, mère. La fortune est avec la jeunesse ;
Elle garde ses coups à l’austère sagesse,
Et je porte avec moi la robuste santé
Des oiseaux du bon Dieu qui vont en liberté.
Du gîte et du repas vous êtes inquiète ?
— Quand le repas est mince, eh bien ! je fais diète,
Et je dors mieux le soir lorsque j’ai bien marché.
Il faut porter gaîment le mal qu’on a cherché.
Ah ! ce pays n’est pas le pays de Cocagne ;
Mais votre souvenir est là qui m’accompagne.

LA FERME À MIDI.

 
Il est midi… La ferme a l’air d’être endormie ;
Le hangar aux bouviers prête son ombre amie.
Là, profitant de l’heure accordée au repos,
Bergers et laboureurs sont couchés sur le dos,
Et, près de retourner à leurs rudes ouvrages,
Dans un calme sommeil réparent leurs courages.
Autour d’eux sont épars les fourches, les râteaux,
La charrette allongée et les lourds tombereaux.
Par une porte ouverte, ou voit l’étable pleine
Des bœufs et des chevaux revenus de la plaine ;
Ils prennent leur repas ; on les entend de loin
Tirer du râtelier la luzerne et le foin ;

Leur queue aux crins flottans, sur leurs flancs qu’ils caressent,

Fouette à coups redoublés les mouches qui les blessent.
À quelques pas plus loin, un poulain familier
Frotte son poil bourru le long d’un vieux pailler,
Et des chèvres, debout contre une claire-voie,
Montrent leurs fronts cornus et leur barbe de soie.
Les poules, hérissant leur dos bariolé,